
C’est un livre à la couverture or auréolé de nombreux prix et intitulé sobrement REX.
C’est une histoire d’Amérique, une success-story comme on en rencontre quelquefois dans le monde du sport : une jeune femme noire, décide, envers et contre tout/tous, de faire de la boxe. Elle a onze ans, on ricane. Dix ans plus tard, et deux médailles d’or obtenues aux Jeux Olympiques de Londres (2012) et Rio (2016), on l’applaudit et la regarde comme une star, un espoir, une leçon de vie.
Nous sommes dans le Michigan, dans le comté de Genesee, à Flint, ville natale de Michael Moore (documentaire Roger et moi, 1989) tristement célèbre pour sa désindustrialisation (fermeture des usines de General Motors) et son eau empoisonnée par le plomb (état d’urgence sanitaire déclaré par le gouverneur en 2016).

Nous sommes donc dans un lieu impossible, marqué par la misère et l’ensauvagement.
Y naître noire de peau n’est pas un avantage. S’affirmer en outre comme femme refusant les stéréotypes de genre est un combat de chaque instant.
Connaissant la jeune femme depuis ses dix-sept ans, le photographe et réalisateur indépendant Zackary Canepari a décidé de lui consacrer un livre, superbe, qui est en fait, sous la même maquette, un diptyque, soit le double parcours de la championne Claressa Shields surnommée T-Rex (Ressa pour les intimes), vivant désormais en dehors de Flint, et de sa sœur, Briana, jeune mère restée au pays, celle qu’elle aurait pu être si la déesse Fortune ne s’était pas penchée sur son berceau, lui insufflant une énergie et un désir d’émancipation considérables.
Le regard est immersif, sans misérabilisme aucun, Zackary Canepari ayant choisi de plonger son spectateur dans le quotidien d’une ville difficile, usée par la pauvreté, abandonnée (premières images prises au lever du jour dans une proche périphérie urbaine), survivante.
Voici, ami lecteur, d’où vient Claressa.
En noir et blanc, à la façon d’un photomaton, un visage, bouche close, traits heurtés, apparaît. En légende, un extrait d’entretien avec la boxeuse : « When I’m in the ring fighting, I just kind of express everything about myself – I’m funny, I’m a beast, I’m hard-hitting, I’m fast, I’m flashy, and I’m dominate. »

Son rêve le plus cher ? Décider sa sœur (deuxième portrait) et son petit fère Peanut à quitter la maudite Flint.
Zackary Canepari documente de façon directe la vie d’une ville, la vie d’une star, la quotidienneté des plus blessés, à la façon d’un reporter allant au contact de son sujet, boxeur à sa façon, montrant tout, n’expliquant rien, mettant le spectateur au travail face à un jeu de cent images à la fois autonomes et dialogiques.
L’humour (un écriteau indique « When you’re as GREAT as I am… It’s hard to be HUMBLE ! ») est une scansion de la réalité, quand les jours sont rudes, cognés, violentés.

Les corps que le photographe sculpte à l’objectif sont généralement tendus, inquiets.
On respire mal, quand les néons font des passagers de la nuit des insectes vulnérables.
Partout, c’est un fouillis de vie, une inventivité de bricoleurs, une lassitude face aux difficultés.
La médaille d’or posée sur le portable, près de la facture à payer, paraît un talisman bien dérisoire.

D’autres visages sont là, qui sont des proches de Claressa (un second père, un premier amour), des soutiens, des raisons de continuer à lutter.
Un petit enfant noir, potelé, en simple couche culotte, est monté sur une table, souliers posés sur des feuilles laissées en déshérence, chiffonnées, oubliées près d’un verre de vin lui aussi abandonné. Ce petit garçon est un grand homme, un déjà-dieu, mais aussi un être menacé (mauvaise bouffe, mauvaise vie).
Les nuques sont raides, pliées, douloureuses. Claressa boxe pour tous, seule enfant de Flint à peut-être avoir su retourner la défaveur en faveur, et le désastre en astre d’or.

Le ring est dans la salle de sport, il est aussi dans la rue, où les règles sont bien plus fluctuantes et sauvages.
Un homme est mort, un bébé crie, il y a sur la vitre des impacts de balles.
Mais REX n’est pas qu’un livre où explosent les coups et les couleurs, c’est aussi un documentaire intitulé T-Rex ! et un projet numérique interactif engagé depuis cinq ans, Flint is a place, dont le but est de regarder la ville du Michigan au-delà de sa mauvaise réputation, et de la rendre d’une certaine manière attractive.
Devenue une héroïne, Claressa est aussi une fiction, un ensemble d’images, un moment dans l’histoire des femmes, et une œuvre à part entière de Zackary Canepari.
Zackary Canepari, REX, texte en anglais, éditions Contrasto (Roma), 2016, 196 pages – 100 images couleur et noir/blanc
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