J1, J2, J3, J7, J12, J123, J199.
Veille, de Nathalie Michel, est une manière de vie parfaite, un journal de bord, phénoménologique et poétique, composé de 199 fragments.
Veille est une boussole, un guide d’anti-égarement, une célébration des jours, des sillons laissés dans le sol ou le ciel, du temps en sa sainte indifférence, et de l’époque malgré sa fureur.
« Ça nous obsède tous, tracer des lignes dans l’espace sauvage. »
Des pluies et des chiennes de canicules, des souffles de bêtes et des sons de sax (Archie Shepp, Ornette Coleman).
« Nuit, rien, souffle »
Le corps se courbe, gratte la terre, fait danser les vers.
Sensation d’une grande paix, sensation d’une grande douleur – les corps des réfugiés franchissant les murs cachés dans le blanc des pages.
Un enfant mort sur une plage et l’offrande du jardin. Tout est donné en même temps, ensemble, en une seule fois.
Il y a aussi ceux qui ruinent les ruines.
On lit lentement chaque strophe, chaque vers travaillé à l’établi, chaque paragraphe versifié, chaque liaison de sens.
Nathalie Michel n’écrit pas pour éviter l’exactitude d’une recension balzacienne, mais parce que la moindre des politesses envers la vie qui nous traverse est de laisser les fenêtres ouvertes en jouant, si ce n’est de l’hélicon ou de l’ostinato beckettien, de l’ellipse et du silence, et des larmes quelquefois.
Respirer pleinement, ralentir vivement, ouvrir un livre, comme on déplie les bras.
« Nous sommes la dernière génération de rêveurs ? Avant la prochaine. »
Le lecteur peut chercher à savoir – les indices ne manquent pas – dans quelle géographie l’auteur déploie ses jours, mais cela n’a aucune importance, puisque c’est partout ici (Alain Jouffroy), un magma d’ondes où les montagnes sont des mers qui sont des plaines.
Il y a des écrans Moloch, des jouissances nouvelles, on prend tout, mais on ne lâche rien.
Rendez-vous à l’hôpital, il faut se presser, non, attendez six mois, le temps de quelques passes magiques : « Quand le cancer nous aura ciblés nous ne mourrons pas, / nous serons toujours là, / dans le lien. »
Même pas peur, et bon qu’à ça, la bricole des jours : « C’est beau, très beau, là où je vis. Ça répare. Chaque jour il faut réparer. Le monde souvent nous abîme. Il nous jette dans le noir, dans sa laideur. Il y aura toujours des hommes ou des bêtes par terre… »
Ecrire à l’unisson des flux, les yeux dans les yeux de l’univers, ou de l’âne du bout du champ.
C’est la nuit, il fait froid, la « zonero, zonero, zonero » tremble.
Pasolini, Pasolini, ton assassin vient de mourir.
Chantal Akerman vient de se suicider.
Heureusement, « la nature console ».
Des pixels ou des lucioles, vers où ira votre préférence ?
« Nous sommes en temps de paix, nous sommes libres, nous vivons dans l’abondance. Il suffit parfois de dire les choses ou leur contraire pour qu’elles existent. »
N’est-ce pas, chère Nathalie Michel, la définition même de la littérature, ou, plus simplement, de la prière ?
Nathalie Michel, Veille, éditions Lanskine, 2016, 92 pages