Du taoïsme, par le romancier Lawrence Durrell

NPG x20162; Lawrence George Durrell by (John) Edward McKenzie Lucie-Smith

A smile is the mind’s eye (Le sourire du Tao) est un texte de l’écrivain britannique Lawrence Durrell (1912-1990) publié une première fois en 1980 – en 1982 pour les éditions Gallimard.

La réédition de ce bel ouvrage composé de réflexions taoïstes est une bonne occasion de retrouver dans toute sa sagesse l’auteur du Carnet noir (1961), ami solaire du sensualiste Henry Miller.

Dans sa maison de Sommières, dans le Gard, où Durrell s’ est installé à la fin de sa vie, l’écrivain reçoit un jour la visite d’un drôle de petit bonhomme, érudit chinois répondant au nom de Jolan Chang, spécialiste du Tao-tö king.

Le Tao pour Durrell l’héraclitéen, qui vécut longtemps à Corfou après une enfance passée en Inde, aux pieds de l’Himalaya ? « Un état de disponibilité et de total abandon, une conscience totale, exhaustive et sans réserve de cet instant où la certitude pointe le nez, tel un poisson au bout de l’hameçon », soit le parfait accord de l’esprit et du monde, une « doctrine vivante » d’harmonisation des contraires dans un dépassement de la stérile dualité.

Atteindre l’immortalité de notre vivant, voilà le but tant recherché.

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Arrivé de Stockholm par la gare de Lunel, Chang se propose d’initier le vénérable écrivain, grand buveur, formidable dispensateur d’énergie, à l’économie de moyens dans tous les domaines, chemin le plus direct pour accéder à l’immortalité, et éprouver la vie comme un Paradis.

Pendant plusieurs jours, les deux compères vont converser, cuisiner, marcher, rire ensemble, en approfondissant leurs intuitions et connaissances de la pensée de Tchouang-Tseu.

Gestes vifs et précis, Chang – il a soixante ans mais en paraît dix-huit – est un adepte du gai savoir et d’une alimentation à la fois frugale et de grande qualité – le gaspillage, voilà l’ennemi.

« Le régime alimentaire est une affaire purement individuelle, me dit-il ; tout homme sérieux, soucieux à la fois de son esprit et de son corps ainsi que de leur rôle dans le schéma global de l’univers, se doit moralement d’expérimenter et de suivre un régime de vie personnel conforme à ses besoins. »

Affichant un très beau sourire de modestie (« le regard de l’âme »), le savant chinois entraîne peu à peu son ami du côté d’un art de vivre fait de délicatesse, de raffinement et d’humour, gages de profondeur spirituelle.

Prônant la transmutation du plaisir orgasmique en joie – objet de l’ouvrage que médite alors Chang – en économisant le sperme (« le plus possible après quarante ans »), le taoïste fait de l’orgasme non un simple triomphe liquide de l’ego, mais le fruit d’une discipline ascétique menant à la satisfaction radieuse de l’esprit.

« Le but du traité, c’était l’amour réalisé, non l’amour parmi les ruines de nos structures sexuelles. Son analyse de notre triste situation était, je le crains, parfaitement exacte et désignait comme grand coupable le christianisme, avec son culte de l’ego, du péché originel, d’un Dieu Vengeur et tout le reste. »

Voie d’accès privilégiée à l’immortalité, les Occidentaux ont trop gâché, gâté, la beauté et la puissance considérable du sexe unissant deux corps/âmes en une misérable foire aux petites jouissances personnelles.

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« L’assouvissement du désir des amants se situait, lui, à un autre niveau : en se rendant maître de l’orgasme, on affectait à l’amour une plus haute fréquence. L’on prolongeait la vie, cette vie immortelle qu’il était de notre devoir d’essayer d’atteindre ici-bas… »

Confidence de Durrell à propos de l’expérience d’un orgasme sans éjaculation, souvent trop rapide pour que la noble dame accède à un plein état de libération, et d’enchantement : « J’avais connu cela avec une femme, une seule, qui jusque dans la mort, arbora, tel un étendard, le regard tantrique. Toute une nuit, les yeux bleus, les yeux bleu saphir au sourire privilégié, me fixèrent avec un air de bonheur espiègle. Pendant ce merveilleux échange, je m’étais rendu compte que le plaisir égoïste n’avait tenu aucune place entre nous. J’étais confronté à la fleur céruléenne d’un savoir achevé. »

Comprendre ici que l’art poétique n’est pas étranger à l’art de la conversation, qui ne l’est pas non plus de celle de la jouissance, et que le régime d’existence taoïste est une façon de réparer le lien brisé entre hommes et femmes en pariant sur l’épanouissement de chacun – on passera vite ici sur les considérations peu amènes de l’auteur de Constance ou les pratiques solitaires (1984) sur la sexualité homosexuelle, mais aussi sur les Japonais, et les jeunes frondeurs de Tel Quel

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Vous coupez vos légumes très fins, ajoutez un peu de gingembre, prenez une gélule de ginseng, respirez en pleine conscience, densifiez votre présence, faites l’amour en ressentant que vous appartenez ainsi au cycle cosmique de la création des dix mille choses.

Vous n’êtes pas loin du Paradis, vous le perdez, le retrouvez.

Vous vous désengagez, lisez, écrivez, vous élargissez.

Vous souriez à vos enfants, votre femme, vos amis, vos complices, vos maîtresses, vos amants.

Tiens, ce chat, là, passant dans le jardin à l’heure de la sieste nue, serait-il possible que lui aussi possède le suprême secret, le sourire du Tao ?

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Lawrence Durrell, Le sourire du Tao, traduit de l’anglais par Paule Guivarch, éditions Gallimard, collection L’Imaginaire, 2017, 132 pages

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