Rumeurs de Damien Daufresne & Marie Sordat est un livre d’artiste publié à cinquante exemplaires à l’occasion d’une exposition ayant eu lieu à Berlin en mars 2017 (Fotofabrik Bln Bxl).
Rumeurs est un ouvrage fait main qu’on ouvre avec précaution, tant se ressent lors de l’effeuillage sa délicatesse de composition : deux livrets se faisant face, qu’on découvre au même rythme, ou non, des images en noir et blanc entrant en résonance, ou non, des imperfections, ou non, délicieuses.

Le nom des auteurs inscrit au crayon gris.
Deux photographes se connaissant peu ont travaillé ensemble à l’élaboration d’un objet unissant étonnamment leurs regards.
Au lecteur d’associer les images, laissant opérer le hasard, ou s’amusant à les faire dialoguer selon un double principe de concordances formelles et de contrepoints.

Des hommes en costume, de dos / Une femme ( ?) au dos nu assise à califourchon sur une chaise.
Un trou dans la glace / Des chiens noirs à la recherche de la queue d’Ysengrin.
Un poisson-lune / La cape flottante d’un jeune homme.

Des traces de pas dans un sous-sol sale et humide / Un couple nu se tournant le dos.
Un envol de pigeons / Une femme forte portant lunettes de soleil et ailes d’albâtre d’un ange gigantesque.

Un enfant presque effacé par la brume / Un autre, chauve, marchant dans une ville en construction.
Le naufrage d’un navire / un ciel que strient des nuages.
Un ventre nu, nombril du monde / une petite fille sous la feuillée.

Un escalier / Un ponton.
Bien sûr, c’est à la fois moins et plus que cela, toute nomination tendant ici à réduire un champ de perception pensé comme le plus ouvert possible.

On peut mettre en lien le poisson-lune avec le ponton, ou le trou dans la glace avec l’enfant chauve, l’image manquante étant une image mentale née de la rencontre entre deux photographies mélangeant leurs eaux comme dans un delta fluvial.
On pense à l’esthétique d’un Michael Ackerman, à ses rêves noirs, à ses personnages issus des hauts-fonds de l’humanité, à la mélancolie interminable, à l’âpreté de l’existence.

On pense à la revue japonaise Provoke, à Takuma Nakahira et Yutaka Takanashi, aux expérimentations formelles, à l’urgence de créer en temps de catastrophe.
On pense à la poésie contemporaine, aux vers libres, aux textes performés, aux silences bruissant de voix et de cris.

Marie Sordat & Damien Daufresne appellent cela Rumeurs, soit un flux d’empreintes visuelles que structure un sentiment de précarité.
Le magnétisme de leurs images procède d’un principe de trébuchement et de rééquilibrage de dernière minute, d’un funambulisme se confondant avec l’humaine condition de chacun de leur spectateur.
Tout est, tout disparaît, rien ne pourrait être, et pourtant tout se tient.
Marie Sordat & Damien Daufresne, Rumeurs, 2017 – 50 exemplaires

