L’étrange bonheur de nager, Yannick Haenel, une saison au Fresnoy

Joakim Pusenius_Reste pour la nuit_Le Fresnoy-Studio national_2017
© Joakim Pusenius

Engagé à suivre pour une année le travail des étudiants du Fresnoy, Studio national des arts contemporains (Tourcoing), Yannick Haenel a fait, au moment de dire ce qu’il avait vu, compris, partagé, bien plus que le texte qu’on lui demandait (l’exposition est imaginée par Jean de Loisy), mais un livre, un texte d’écrivain.

Le titre est simple, beau comme mille possibilités, Roman. Son sous-titre, non moins rimbaldien, est une plaine qu’illuminent des corps en feu, L’élégance, la science, la violence !

« Je pensais : ce qui n’arrive plus à s’accomplir par la politique prend d’autres voies et se déploie à travers des films, des livres, de petites machines poétiques qui supposent amitié, amour, travail et désertions, qui impliquent une foi nouvelle, une flamme. »

Hugo Deverchere_Cosmorama_ LeFresnoy_Studio national_2017 (1)
© Hugo Deverchere

La parole, lorsqu’elle est écoute de ce qui tremble en elle, est action, poésie, œuvre.

Une forêt est apparue, « une contrée », qui est un ciel sur lequel marcher à l’envers, un ensemble de gestes artistiques chorégraphiant le mouvement des planètes.

Se sont levées cinquante-deux poussières d’astres, cinquante-deux présences sages, des beautés insensées.

Je ne suis pas allé au Fresnoy, pas encore, mais j’ai lu ceci : « Tout s’allume et se met à tourner : il y a le Mexique des saints, la forêt des éventrations, il y a des barres d’immeubles qui accueillent le soleil de Dieu, des baignoires où l’on entend Michaux, il y a une rivière de phrases diamantées, des voix, des souffles, des nudités, un ravin où l’on découvre que mourir est sans fin, un train qui traverse l’Europe et l’Asie vers Taïwan, des ruines et des pierres qui volent, la mélancolie de l’Aéropostale, l’enchantement des étoiles, les miroitements d’un dodécaèdre, un deuil insurrectionnel de masques verts, il y a une montagne, il y a deux montagnes, il y a dix montagnes, il y a aussi plusieurs déserts, des bédouins, des arbres timides, il y a des marionnettes qui parcourent Dublin, un braconnier, un loup, des esprits créoles, une Tour Eiffel en Chine, des plages de galets au Chili, des cadavres, des fantômes, des migrants, des héros, des non-héros, des iPhones et des épées, un télégraphe, des soldats, des rockeurs et des extraterrestres. »

Je recopie ces phrases, c’est un exercice qui libère, qui ouvre des mondes, fait entendre des entrechoquements, imaginer des langues enlacées.

Je vois des visages, des désirs, et des dizaines de cairns qu’on appelle œuvres, des travaux de fin d’études, des commencements. Des embarquements.

Junkai Chen_Bagua_Le Fresnoy-Studio national_2017
© Junkai Chen

« Il y a trois-cent vingt-deux portes au Fresnoy : les avez-vous ouvertes ? Moi oui. Ce roman est l’histoire des portes que l’on ouvre la nuit quand on est seul, et que s’allume l’ardeur. »

Des noms sont écrits sur la page, qui vont se déplier en phrases.

Lorsque l’on croit encore en la littérature, il est impossible de ne pas faire entrer dans le Livre, cet absolu mallarméen, la totalité de l’existant, de l’étant. Ecrire vraiment, c’est refuser le moindre rebut, accepter que le plexus s’ouvre à ce qui le brûle, comprendre que l’on ne dormira plus qu’en entendant des voix.

Jeunes gens, vous ne le savez peut-être pas encore, mais toute création véritable est un couloir saturé de portraits, qui bougent, parlent, observent en riant le spectacle de vos métamorphoses. Vous avancez, vous vous courbez un peu, vous redressez. Il y a là-bas une lumière, un trou bordé de flammes, un océan sur lequel, vous le pressentez, vous pourrez courir sans craindre de vous noyer.

Thomas Garnier_Shanzhai_LeFresnoy-Studio national_2017
© Thomas Garnier

Des noms comme Vir Andres Hera, qui a filmé Le Romanz de Fanuel, qui est un saint, qui est un désert, qui est un homme, qui est un mendiant, là, aujourd’hui, parmi nous qui ne le désirons pas suffisamment pour qu’il souhaite encore être notre guide.

Des noms comme Charlotte Bayer-Broc, qui anime des sorcières fluorescentes, fait entendre des paroles pour repousser la mort, invente des rites de désenvoûtement.

Des noms aussi beaux que l’impossible démocratie. Des distances, des provenances, des avenirs.

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© Raphaël Botiveau

 

Jean Hubert.

Ina Mihalache.

Saïd Afifi.

Thomas Guillot.

Junkai Chen.

Marissa Viani.

Assia Piqueras.

Léonard Martin.

Alexandre Guerre.

Egor Shevchenko.

Damien Jibert.

Joakim Pusenius.

Mathias Isouard.

Laura Haby.

Marie Lelouche
© Marie Lelouche

Federica Peyrolo.

Jacob Wiener.

Varun Sasindran.

Pang-Chuan Huang.

Saodat Ismailova.

Bettina Blanc Penther.

Txema Novelo.

Chiara Caterina.

Elsa Brès.

Riccardo Giacconi.

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© Leonard Martin

Thibault Le Maguer.

Annabelle Amoros.

Ismaël Joffroy Chandoutis.

Xénophon Tsoumas.

Robin Labriaud.

Julie Vacher.

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© Alexandre Guerre

June Balthazard.

Tamar Hirschfeld.

Thomas Garnier.

Yann Robin.

Andrés Padilla Domene.

Shirley Bruno.

Raphaël Botiveau.

Marie Lelouche.

Francisco Rodriguez.

Hideyuki Ishibashi.

Victor Vaysse.

Bruno Nuytten.

Vasil Tasevski.

Baptiste Rabichon.

Hugo Deverchère.

Pascal Convert
© Pascal Convert

Ewan Golder.

Pablo Valbuena.

Pascal Convert.

Olivier Gain.

Yannick Haenel.

C’est énorme, non ?

Yannick Haenel, étudiant, artiste, a écrit sur chacun d’entre eux, s’est rapproché de chacun d’entre eux, tentant de saisir les poétiques, les intensités, les nécessités. A jeté des ponts, vu des passerelles invisibles, inventé des arches, construit des porches.

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© Yannick Haenel

Résumer chaque propos ne serait-il pas vain ?

J’ouvre, le pioche, je coupe, j’entends. Alors, place à la musique savante !

« On entend des animaux crier. »

« La solitude est politique ; c’est notre communauté à nous. »

« Ceux qui pensent que la poésie n’a rien à dire au monde, ou qu’elle lui est étrangère sont des flics. »

« Regardez bien, c’est fou, les pierres dans le ciel sont en train de s’aimer. »

« La parole continue après la mort. »

« Nous regardons toujours des images du ravin. »

« L’injustice est à l’origine des récits. On raconte pour rétablir son droit. »

« C’est une très grande nouvelle : une nouvelle réjouissante révolutionnaire. Il faut l’écrire en majuscules : NOUS ALLONS FAIRE L’AMOUR ENCORE PLUS. »

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© Yannick Haenel

On expose, on s’expose, pour tenter de trouver la parole sous la parole, l’image sous l’image, les yeux sous les yeux. Et perdre sa peau, sa langue, son sexe.

On n’est plus alors qu’un flux de mémoire vivante, une œuvre ouverte, un passage initiatique.

Au Fresnoy, Yannick a vu s’élaborer un film, le sien. Il s’appelle La Reine de Némi.

Nous en parlerons bientôt.

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Yannick Haenel, Roman, L’élégance, la science, la violence !, commissaire Jean de Loisy, Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains, 2017, 248 pages

Entrer au Fresnoy

Exposition Panorama 19 / Roman – jusqu’au 31 décembre 2017

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