Théo Angelopolous in vivo, par Elodie Lélu, assistante du cinéaste

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photogramme du film Paysage dans le brouillard

« Dans une Grèce meurtrie par la crise, E, une jeune fille d’une vingtaine d’années, tente de monter L’Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht avec des amis comédiens, des ouvriers grévistes et des immigrés clandestins. Ensemble, ils se battent pour faire exister un spectacle censé éveiller les consciences politiques en ces temps troublés. Mais ils ne cessent d’être interrompus et rattrapés par la vie. » (début du synopsis de L’Autre Mer)

La fortune critique du cinéaste grec Théo Angelopoulos, auteur, entre autres chefs-d’œuvre, du Voyage des comédiens (1975), d’Alexandre le Grand (1980) et de Paysage dans le brouillard (1988), ne me semble pas à la hauteur de son génie cinématographique.

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Aussi la parution du Journal de bord de son dernier film inachevé (éditions Art3 – Plessis, 2017) rédigé par Elodie Lélu, son assistante, est-elle un événement heureux.

Mort au Pirée le 24 janvier 2012, Théo Angelopoulos aurait pu avoir la longévité créatrice d’un Manoel de Oliveira hellène si un policier en moto ne l’avait accidentellement renversé dans la rue, en plein tournage de son dernier film L’Autre Mer consacré à l’asphyxie financière de son pays par les créanciers européens.

Renvoyé pour « non-conformisme » de l’IDHEC (future Fémis) sur une pensée divergente du champ/contrechamp, le représentant le plus éminent du nouveau cinéma grec, à qui l’on a pu reprocher son intellectualisme, voire son hermétisme, est le maître incontesté du plan séquence sophistiqué pensé comme une façon de lier, dans le continuum du mouvement de caméra, des époques différentes de son pays, qu’il s’agisse de l’Antiquité, de la Grèce dite des Colonels, ou de la situation contemporaine.

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Amateur de Joyce et de poésie, Théo Angelopoulos propose donc une traversée du temps, rendant palpable sa texture mentale et fantasmatique.

Le texte d’Elodie Lélu est une œuvre d’amitié envers un réalisateur admiré, évoquant en outre le cinéma dans sa réalité la plus concrète, son artisanat, son génial bricolage, avec une franchise de ton doublée d’une grande pudeur qui emporte la lecture.

Impossible à oublier, la crise grecque est omniprésente, tant dans la difficulté de tourner un film quand l’argent manque, que dans les événements quotidiens heurtant l’équipe.

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L’envoi de son livre est glaçant : « Dans L’Autre Mer, aujourd’hui inachevé, Théo racontait les destins terribles des victimes de la crise grecque. Et ironie du soir, les ambulanciers qui devaient le secourir ce soir-là sont tombés en panne, les restrictions budgétaires ne leur permettant plus d’entretenir correctement leurs véhicules. Tragique sentiment que celui de voir Théo emporté par le sujet de son propre film : la crise. »

Elodie Lélu offre le portrait d’un homme habité par une très haute conscience politique que la chute des idéaux sociaux de l’Europe et l’effondrement des structures collectives d’aide indignaient, d’un cinéaste écrivant son scénario avec une conscience poétique permanente, d’un film exigeant affrontant la tempête financière le conduisant au naufrage – l’œuvre devant commencer par le suicide d’un ouvrier se jetant du toit de son usine en grève.

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photogramme du film Paysage dans le brouillard

L’Autre Mer n’a donc pu exister jusqu’au bout, mais on peut lire désormais le journal de ce qui fut un rêve pour contrer les temps sombres.

Ce qu’écrit Elodie Lélu est à la fois très doux et d’une grande précision, témoignage d’une amie fidèle pour un homme remarquable, tant par son œuvre, son engagement, que sa culture. Un homme sans cesse en mouvement ayant rêvé l’Europe et la Grèce comme espaces d’accueil pour tous.

Extrait du journal du 22 novembre 2011 : « Quand je quitte le bureau, Théo m’explique qu’il rentrera tard : un acteur l’a prié de venir le voir au théâtre dans un monologue qu’il interprète et qui raconte la vie de Karl Marx. Il aimerait beaucoup avoir un petit rôle dans L’Autre Mer et Théo veut lui laisser sa chance. Mais quelle journée pour un homme de 76 ans qui s’est levé aux aurores et qui ne rentrera pas chez lui avant une heure du matin ! Aujourd’hui j’ai vraiment le sentiment que Théo est infatigable. »

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Elodie Lélu, Journal de bord d’un tournage inachevé, Le dernier film de Théo Angelopoulos, préface de Georges-André Quiniou, Art3 – Plessis Editions, 2017, 232 pages

Site de ART3 – Plessis Editions

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Se procurer Journal de bord d’un tournage inachevé

 

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