Priape est un monstre, c’est entendu, mais quel monstre !
Monsieur, voudriez-vous bien éloigner de mon visage cet organe que je ne saurais contempler sans en être aveuglé ?
Se pressent en masse autour de votre chaude fontaine l’assemblée des bêtes bêlantes, dévotes, idolâtres.
Rien de plus normal puisque vous êtes chez les Grecs le superbe protecteur des jardins et des troupeaux.
La face est laide, mais la nature ferme.
Priape, drôle de Titan repoussant-aimant, est un être étrange venu d’Asie mineure, autrement dit de nulle part.
Il déteste les ânes, allez savoir pourquoi.
Fier de son colifichet figé dans l’entaille du figuier, Priape rit jaune, car le priapisme n’est pas si amusant, qui est une flamme sans extinction.
Priape, au-delà du fétiche, c’est l’absolument autre, l’étranger fondamental, l’indésirable fascinant en errance éternelle.
Nicolas Presl sait tout cela, qui est chez les bédéistes de tous poils le spécialiste incontesté des phénomènes incontrôlables, et chez les éditions genevoises Atrabile un auteur majuscule (sept livres au catalogue, une seule infidélité).
Ouvrez son best-seller, Priape (nouvelle édition), que préface, excusez du peu, Vivien Bessières, maître de conférences en littérature impertinente à l’université de Limoges.
Chez Nicolas Presl, le monstre est un homme malheureux, affublé d’un appendice qui est bien plus un handicap qu’un objet de merveille, un être singulier découvrant son homosexualité.
Son livre est en noir et blanc, sans texte (sauf un peu de grec ancien), mais l’on comprend tout même lorsque l’on ne comprend rien.
Bébé est né difforme, c’est une malédiction, il faut l’exposer.
Un berger passe, l’enfant grandit, s’observe, se bagarre, se métamorphose, s’enfuit, se venge, est désiré, fait homme, désire.
Jalousie, violence, disproportion tragique.
Livre muet, Priape est pourtant un ouvrage éloquent, interrogeant l’énigme de la différence, et la force du destin, notamment lorsqu’elle prend le chemin d’une orientation sexuelle irrépressible.
Priape tel Œdipe aura les yeux crevés, et son Antigone les cuisses poilues.
Nicolas Presl, Priape, préface de Vivien Bessières, éditions Atrabile, 2018