Kyôto, des pensées vagabondes, par Colette Fellous et Corinne Atlan

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« J’ai relevé le store de bambou lentement, j’ai entrouvert la fenêtre, à peine à peine, et j’ai regardé. C’était un samedi, je ne voulais pas déranger le paysage, juste regarder. Je regarde encore. Il est six heures du matin, c’est mon premier jour à Kyoto, j’habite près du chemin de la philosophie, chez Tae san, il n’y a personne dans la rue, je bois du café. Autour, orchestrant l’espace, le jardin et le rose du cerisier double qui jaillit derrière le mur du musée, la haie de petits arbres noueux aux feuilles rouges le long du restaurant Noa Noa, le toit du pavillon de thé, la ligne du canal bordée de cerisiers en pleine fleur, et tout au fond, dans la brume, la montagne de l’Est, qui apparaît : c’est le mont Daimonji. »

Dans le numéro d’été de La Nouvelle Revue Française (n°631), Colette Fellous évoque en quelques pages superbes (c’est pour faire briller la pépite de tels textes que les revues existent) un récent voyage à Kyôto, cherchant à comprendre son esprit.

Ses descriptions sont douces, pudiques, discrètes, comme si le moindre mot faux ou indélicat pouvait briser l’harmonie d’un tout enchanteur.

La légèreté est une vertu japonaise. Surtout ne pas faire de bruit. Ne peut-on d’ailleurs pas tomber amoureux d’un homme dont la qualité première est de savoir se déplacer souplement (lire Nicolas Bouvier) ?

Colette Fellous aborde Kyôto, ses paysages, comme un secret, attentive à l’ordre sacré dans lequel elle se meut.

La beauté s’arrache à la mort, omniprésente. Un craquement ultime se taisant encore.

« Un soir, depuis ma chambre j’ai entendu une voix de femme chanter, je suis descendue, j’ai suivi la voix, c’était un dîner-concert au Noa Noa, une soirée privée. A travers la baie vitrée, j’ai d’abord vu une tache rouge, la robe de satin qui moulait le jeune corps de la femme, elle s’appliquait à chanter devant les invités, elle caressait son micro des deux mains puis de sa main gauche elle caressait ses hanches puis l’espace arrivait jusqu’à la haie de petits arbres noueux aux feuilles rouges. »

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La vie est fluide comme un bon saké, une danse de la pluie lente, un thé bouillant porté aux lèvres avec distinction.

Kyôto est aussi l’objet d’une méditation de grande beauté menée par Corinne Atlan, qui en a fait son port d’attache pendant de nombreux mois, dans un livre intitulé Un automne à Kyôto (Albin Michel), hommage discret à Ozu (Fin d’automne, 1960) et Arthur Rimbaud : « L’automne déjà ! – Mais pourquoi regretter un éternel soleil si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, – loin des gens qui meurent sur les saisons. »

Ecrit sous la forme d’un journal aux mille nuances de vert et de brume, où la mémoire est une force de composition d’un présent flottant (liens personnels Katmandou–Kyôto), Un automne à Kyôto est une balade douce dans l’intraduisible d’une nécropole considérable où se rencontrent en permanence le passé et le présent.

Installé dans une maison au pied de la colline de Yoshida, près d’un temple fondé au Xe siècle, Corinne Atlan goûte le plaisir d’être une exilée volontaire dans une ville que tout son être a reconnue intimement.

« Yoshida reste un des sites de la ville où l’on peut encore éprouver la « crainte révérencieuse » (ikei) que suscitait chez les Anciens la nature divinisée. C’est probablement pour cela qu’elle est aussi peu fréquentée, les Kyotoïtes étant dans l’ensemble assez superstitieux. On ressent indéniablement par endroits le sentiment d’une vague présence. »

Ici, les fantômes sont considérés comme des présences naturelles avec qui il convient de vivre en bonne intelligence, voilà tout.

Mais il arrive aussi que le bonheur de l’expatriée se heurte au « formalisme exacerbé » d’un peuple parfois trop peu sensible à l’irruption de l’inédit, même s’il existe « au Japon une vraie gentillesse, une attention sincère à autrui dont la nostalgie vous poursuit, une fois rentré en Europe… »

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A Kyôto, les voisins sont vigilants tout autant que bienveillants, souriants et suspicieux, aux petits soins comme aux petits espionnages.

Au Japon les catastrophes sont aussi gigantesques (Hiroshima/Fukushima) que les riens du quotidien portés au sublime.

Le monde est parfait, fou, et terriblement cruel pour qui ne respecte pas les conventions et les sourires, non par goût du défi mais parce qu’il n’en a plus la force.

Un automne à Kyôto peut se lire comme un guide de voyage poétique et zigzagant, plein de saveurs et de détails précieux, une ode à la vie telle qu’elle se déroule simplement entre cycle des saisons et sentiment de l’impermanence, mais aussi un essai souple sur le devenir touristique d’une ville faisant souvent trop peu de cas de ses édifices anciens les plus modestes ou populaires, et sur la difficulté de vivre quand la comédie des apparences tient lieu de monde.

Ses références nombreuses – Claude Lévi-Strauss, Madoka Mayuzumi (poétesse contemporaine), Sei Shônagon et Izumi Shikibu (Xe siècle), Issa Kobayashi (lire Sarinagara de Philippe Forest, 2004), Kenkô Urabe (Les Heures oisives, 1987), Michel Butor, Jean-Christophe Bailly… – ne pèsent jamais, s’intégrant naturellement dans le fil d’une narration mêlée d’anecdotes et de réflexions particulièrement inspirantes, telles que celles que l’on pouvait lire dans l’excellent Japon, l’empire de l’harmonie (Editions Nevicata, 2016), recommandé à plus d’un ami en partance pour le pays levant.

« Chaque moment d’une saison, d’une journée, d’une vie, consiste en un délicat glissement d’un état vers un autre. Aucune opposition entre passé et futur, jour et nuit : c’est nous qui marquons dans le cours d’un même continuum des coupures arbitraires, imposées par le rythme des activités humaines. Dans le Japon ancien, le « lendemain » commençait à la nuit tombée. A peine la nuit noire s’était-elle installée que l’on distinguait déjà les prémices de l’aube… »

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Corinne Atlan, Un automne à Kyôto, Albin Michel, 2018, 302 pages

Les éditions Albin Michel

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La Nouvelle Revue Française, numéro 631, juillet 2018

La Nouvelle Revue Française

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Se procurer Un automne à Kyôto

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