Paris-Brest Publishing, un cabinet de curiosité,  par Grégory Valton son fondateur

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© Benoît Grimalt

Fondateur à Nantes des éditions Paris-Brest, Grégory Valton publie, à un rythme de trois fois par an, des livres de seize pages et de format invariable conçus comme des espaces d’expérimentation pour des travaux d’artistes (photographes/plasticiens) de natures très diverses.

Est ici valorisée une prise de risque, une volonté de ne pas être parfait, une ambition de recherche, les artistes montrant davantage leur processus de travail qu’une production impeccablement finie.

Ses deux derniers livres Interlude, de Benoît Grimalt, et La peinture, c’est comme les pépites, de Pierre-Yves Hélou, peuvent paraître au premier abord déroutants, mettant le lecteur au travail, et l’invitant à élaborer un protocole de lecture très personnel.

J’ai souhaité en discuter une nouvelle fois, après un premier article publié il y a quelques mois dans L’Intervalle, avec Grégory Valton.

Où l’on comprend que la notion de ratage en art relève d’une logique moderniste désormais très largement inopérante.

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© Benoît Grimalt

Après Le Roc d’Ercé, de Thomas Bouquin (livre présenté dans L’Intervalle), vous publiez Interlude, de Benoît Grimalt et La peinture, c’est comme les pépites. C’est pas forcément quand tu cherches que tu tombes dessus, de Pierre-Yves Hélou. Comment concevez-vous dans votre jeune catalogue l’articulation de ces trois livres ? Selon une logique de complémentarité, de contrepoint, d’associations d’idées, de parallèles ?

La parution de trois livres par an fait partie des fondements de la maison d’édition. Cela me permet de donner un rythme au catalogue, qui se constitue en fonction de mes points d’intérêts artistiques, de mon réseau, ainsi que de proximités professionnelles et personnelles. L’articulation des ouvrages ne se définit pas par des sujets ou des idées, mais bien par l’espace d’expérimentation du livre. Je conçois Paris-Brest comme un espace vierge de 16 pages et de format invariable. Ce qui m’intéresse c’est la façon dont les artistes investissent cet espace et comment cela leur permet d’aborder différemment leur travail. D’où aussi la diversité des points de vues proposés, que ce soit des travaux d’artistes photographes ou plasticiens.

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© Benoît Grimalt

Pensez-vous vos livres dans la continuité des rencontres de réflexions autour des images organisées par l’association PUI (Pratiques et Usages de l’Image), dont vous êtes cofondateur ?

C’est vrai qu’il y a une continuité avec les rencontres que nous organisons avec PUI. Surtout sur la question de l’utilisation de l’image qu’en fait l’invité, qu’il soit chercheur, artiste, écrivain ou photographe. Nous pensons qu’une rencontre est réussie lorsque celui-ci repart avec des questions qu’il ne s’était pas forcément posé. C’était aussi avec cette idée que j’ai construit Paris-Brest : pourquoi l’artiste présente ce projet, comment faire avec des contraintes imposées dues au format du livret et au nombre de pages… Les rencontres, comme l’édition ou l’exposition, sont les endroits pour réinterroger sa pratique.

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© Pierre-Yves Hélou

De quelles problématiques vos derniers deux livres sont-elles nourries ? Les imaginez-vous comme des objets de recherches pures ?

Les problématiques liées aux deux derniers livres sont d’ordre général. Les livres de photographies sont souvent très bien réalisés, mais la plupart du temps les images de l’exposition sont également celles du livre. Un peu comme un concert où le groupe rejoue note par note l’album qu’il a enregistré. J’ai tendance à aller vers des groupes qui déconstruisent, réinterprètent leur musique ou leurs sessions d’enregistrement (je pense par exemple à Smile sessions des Beach Boys). Les livres édités chez Paris-Brest sont pensés comme des objets de recherche, d’expérimentation, dans lesquels les artistes montrent les ratés, les bouts d’essai, les tentatives, où ils prennent des risquent.

Chaque année, j’envisage de présenter deux projets différents, où serait accordée moins d’importance au médium photographique, que je trouve parfois trop précieux. Benoît Grimalt édite le making of d’un film réalisé en résidence, où les dessins sont des idées de plan, les photographies sont voilées à cause d’une chambre noire défectueuse. Pierre-Yves pratique la photographie comme une esquisse. Ne retrouvant pas toujours dans le travail d’atelier la même énergie que sur l’instant, il en vient à considérer ses images comme des photographies-sculptures.

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© Pierre-Yves Hélou

Pierre-Yves Hélou est un plasticien.  Pourquoi ce choix ?

Je ne me retrouve pas trop dans le paysage photographique nantais, d’où l’envie d’organiser des rencontres autour de l’image avec PUI, ou de développer la partie éditoriale avec Paris-Brest. Je fréquente surtout des plasticiens qui utilisent la photographie comme un outil appliqué, pour rendre compte de leurs œuvres dans leurs expositions, par exemple. Le choix d’inviter un plasticien qui travaille en trois dimensions est important pour moi. Avec l’édition, les artistes ont un espace vierge dans lequel ils peuvent pousser la réflexion de la place et de la représentation de la sculpture ou de la performance.

Pierre-Yves glane des matériaux de chantiers qu’il archive dans son atelier. Certains sont assemblés, réorganisés par formes, textures, et tout joue sur l’équilibre. Lors de ses expositions, certaines de ses œuvres se sont retrouvées par terre. Pierre-Yves n’a pas cherché à les reconstruire, il les a laissés tels quels. Son livre est né de la même manière, d’une erreur à l’impression de la maquette. Tel un ready-made, par inadvertance, le livre a trouvé sa scénographie. Pour se rassurer, le lecteur peut alors découper les pages, refaire la maquette, recoller les photos entre elles.

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© Pierre-Yves Hélou

Votre ambition est-elle de permettre à vos lecteurs, à l’instar de la collection Cahiers de Soraya Amrane (Zoème/ Filigranes Edtions), de découvrir les coulisses de la création ?

J’avais acheté les deux premiers Cahiers (Arja Hyytiäinen et Nina Korhonen), car j’aimais bien l’idée du carnet de recherche, de ce qui n’est pas montré en photographie : le déchet, la photo ratée, la complicité entre texte et image… Paris-Brest se situe entre l’atelier et la présentation, il ne s’agit pas de rejouer une recherche existante, mais bien de proposer un espace de liberté et de confiance. Les artistes ne sont pas forcément connus, il n’y a pas d’enjeu éditorial, je leur laisse champ libre et, parfois cela fonctionne, parfois non. L’espace éditorial leur permet en tout cas de réinterroger leur travail, de le bousculer, d’aller vers des chemins plus escarpés.

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© Pierre-Yves Hélou

La question de l’archive est centrale dans la création contemporaine. Y a-t-il dans votre démarche éditoriale une volonté de constituer petit à petit une mémoire de l’infime et du hors-champ ?

Si l’archive et la mémoire ont une place importante dans mes travaux d’artiste, je vois plus Paris-Brest comme une collection, presque un cabinet de curiosité où cohabitent des corpus variés. Il faudra du temps pour dire si cet ensemble constitue une archive et je risque de perdre les chercheurs qui tenteront d’établir des liens et des connexions entre les différentes parutions ! La liberté que j’offre aux artistes dans l’espace du livre, je me l’autorise également dans la diversité des approches. Peut-être qu’en effet les formes peu visibles et fragiles seront un axe reliant certains des travaux édités, mais cela tient plus à ma sensibilité et à mes préoccupations actuelles, qu’à une volonté de s’inscrire de façon cohérente dans le temps.

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© Pierre-Yves Hélou

Comment s’inscrit Paris-Brest Publishing dans le territoire nantais. Qui sont vos soutiens et partenaires éventuels ?

Je ne suis pour l’instant soutenu d’aucune sorte et je mène ce travail éditorial bénévolement, grâce aussi aux photographes et artistes qui donnent de leurs temps. Depuis deux ans, Paris-Brest fait partie du Collège Édition du Pôle arts visuels des Pays de la Loire. En ce moment, nous mettons en place un annuaire des lieux de diffusion des livres et des maisons d’édition en région. Je commence à rencontrer, dans des salons, d’autres éditeurs nantais comme FP&CF, Chambre Charbon ou Bleu de Berlin. Je diffuse très peu par le réseau des librairies, mais je pense le faire un peu plus localement en 2019, peut-être par le biais de signatures, quand le catalogue sera un peu plus étoffé.

Quel bilan faites-vous de votre première année d’éditeur ?

Monter une maison d’édition me permet de garder une veille sur les travaux d’artistes, les livres édités, les expositions. Je prends beaucoup de plaisir à rencontrer les artistes, à faire paraître des travaux qui me tiennent à cœur, à créer et renforcer les liens avec les photographes québécois, à être présent lors de salon (trois cette année dont le FRAC PACA en novembre pour Mise en pli #2), à échanger avec d’autres éditeurs. Pour l’année prochaine, seront édités les travaux de Sara Tremblay (QC) en mars, de Sandrine Marc en juillet et de Julien Quentel en octobre. Le prix de vente va aussi changer, car je vais proposer le livre à 10 euros et à 15 euros, accompagné d’un tirage de tête.

Propos recueillis par Fabien Ribery

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Benoît Grimalt, Interlude, Paris-Brest Publishing, 2018, 16 pages – 86 exemplaires + 14 exemplaires avec tirage de tête.

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Pierre-Yves Hélou, La peinture c’est comme les pépites. C’est pas forcément quand tu cherches que tu tombes dessus, Paris-Brest Publishing, 2018, – 86 exemplaires + 14 exemplaires avec tirage de tête.

Et toujours Le Roc d’Ercé de Thomas Bouquin, Paris-Brest Publishing, 2018, 16 pages – Il ne reste plus que 14 exemplaires du livre et 14 exemplaires avec tirage de tête. Thomas Bouquin expose Le Roc d’Ercé au Centre VU à Québec (QC) du 26 octobre au 2 décembre.

Grégory Valton participe au web-documentaire En attendant la mer (cliquer ici pour l’écouter)

 

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