« Quelle liberté ! Ne plus avoir à se préoccuper d’une histoire […]. C’est cela qui est important, échapper au motif, éviter d’être littéraire et pour cela choisir quelque chose que tout le monde connaît ; encore mieux pas d’histoire du tout. » (Auguste Renoir cité par son fils Jean)
Dans le bel appartement calaisien de mes grands-parents, il y avait un petit Renoir, le portrait d’une jeune femme, rose, duveteuse, blonde.
J’étais enfant, elle m’agaçait. Sa mièvrerie, sa fausse candeur, ses airs de ne pas y toucher. Je ne connaissais pas de petite fille innocente, ce n’était pas possible.
Aujourd’hui que ce tableau a disparu, son visage me hante, me sauve. C’est la grâce du monde, un feu de joie, la femme que je désire assise là-bas, à l’angle du café.
Je me damne pour des femmes-fleurs, pour des longues chevelures, pour des yeux un peu trop doux, pour des petits seins ronds.
A la piscine, à la plage, au bord d’une rivière, je recherche ses baigneuses, leurs gestes pudiques, leurs féeries de couleurs.
Un dos nu, une longue robe frottant le sol, des gants blancs, et me voici au paradis.
La douceur et l’enfance traversant le temps.
Il y a de la musique, du piano, des conversations chuchotées.
Il y a une guitare, des animaux, près de nous, en nous lorsque nous faisons l’amour en cris et peintures.
Il y a un broc rempli d’eau froide pour la toilette, des petites taches colorées aussi agiles que des poissons miniatures.
La nature éclate de présence, de lumière, de beauté. C’est l’Arcadie, la Grèce éternelle, la mythologie au quotidien.
L’Antiquité est là, sous nos yeux, c’est l’éternelle jeunesse des cariatides, des faunes, des Vénus. La chair vibre sur la toile, elle donne envie de vivre.
Tout est serein, tout est une fête calme.
On boit des anisettes, on accepte un cavalier, on se mange des yeux.
Mademoiselle, vous êtes une infante, donnez-moi le bras s’il vous plaît.
Tout à l’heure, nous nous déshabillerons, notre nudité nous protègera.
Voyez là-bas les canotiers, et la petite île au milieu de la rivière, nous y serons bien.
Demain n’existe pas.
Jean Renoir se souvient encore des séances de pose que lui demandaient son père : « De l’or. Je compris qu’il s’agissait de mes cheveux et peu à peu l’orgueil d’être couronné d’or prit le pas sur les inconvénients du métier de modèle. J’étais d’ailleurs privilégié […]. Renoir n’exigeait pas l’immobilité absolue. Je garde l’impression qu’il la craignait même. »
On revoit Nana, c’est un film du fils (1925), mais un tableau du père (1881) se trouvant à la Philipps Collection.
On revoit French Cancan (1954) et l’on voit aussi Le Moulin de la Galette (1876), conservé au musée d’Orsay.
On ferme les yeux avec Henriette dans Parti de campagne (tournage 1936) et l’on ne sait soudain plus très bien si ce titre est celui d’un film ou d’une peinture.
Et : « Il me dit un jour qu’il regrettait de ne pas avoir peint le même […] sujet pendant toute sa vie. Comme cela, il eût pu se concentrer entièrement à ce qui constitue l’invention en peinture : les rapports de formes et de couleurs, qui varient à l’infini dans un même motif. »
Sylvie Patry, Renoir au XXe siècle, Hors série Découvertes Gallimard / RMN-GP, 2009 – réédition 2018
Anne Distel, Renoir, « Il faut embellir », Découvertes Gallimard / RMN-GP, 1993 – réédition 2018
Célia Belin, Jean Renoir cinéaste, Découvertes Gallimard, 1994 – réédition 2018
Exposition Renoir père et fils, peinture et cinéma, musée d’Orsay, du 6 novembre 2018 au 27 janvier 2019
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