El Cartucho, cour des Miracles de Bogota, par Stanislas Guigui, photographe

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© Stanislas Guigui / Agence Vu’

El Cartucho est un conte noir effroyable, un livre de misères, de peines et de révoltes, prisme d’un monde fabriquant de l’injustice et des déchets humains.

« A une autre époque, j’aurais exprimé mon point de vue d’une manière beaucoup plus directe et radicale, et j’aurais réglé certaines injustices à coups de sabre. Mais aujourd’hui les « méchants » sont trop nombreux et trop lâches pour qu’on les provoque en duel. Aussi, j’espère que les images et les mots seront aussi efficaces que la pointe de l’épée et que cela permettra, peut-être, de rétablir un semblant de justice. »

El Cartucho, c’est en Colombie un quartier de Bogota situé en plein centre-ville, non loin du palais présidentiel. Il est aujourd’hui détruit, mais vit encore en images grâce à Stanislas Guigui qui a photographié ses habitants pendant quinze ans.

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© Stanislas Guigui / Agence Vu’

 

Son livre est impressionnant, autant à voir qu’à lire, à lire-voir, puisque le texte de nature autobiographique reproduit ici est très abondant, entre Chandler, Bukowski et Lucifer.

« Les textes qui composent ce livre, explique son auteur, racontent plusieurs récits. Celui de Cartucho, sujet principal de cet ouvrage, un territoire incroyable et fascinant, tout droit sorti des abîmes de l’enfer. Un peu de mon histoire personnelle et des mésaventures que j’ai traversées dans ce lieu maudit. Et enfin, la genèse de ce projet artistique que je porte depuis déjà vingt ans, à travers mon travail photographique à l’intérieur de cette gigantesque cour des Miracles. Au milieu des voleurs, de mendiants et de tous les rebuts de la société colombienne. »

Mais El Cartucho n’est pas qu’un portrait réaliste, en noir & blanc, d’un quartier infernal, c’est aussi un album construit aux lisières du fantastique, peuplé de signes graphiques et de tableaux noirs, comme si les images y avaient été dessinées à la craie. Comme un rêve éveillé, un cauchemar suspendu, une vie à perdre la raison.

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© Stanislas Guigui / Agence Vu’

Le travail graphique de Stanilas Guigui n’atténue pas la violence, mais l’inscrit dans un ordre supérieur, une forme de transcendance portée par le mal.

Ses photographies sont des hantises, et les visions crues d’une corniche dantesque.

Il y a des machettes, des corps qui tombent, des gueules cassées, des flingues, de la drogue.

Il y a des chiffres, des légendes souvent illisibles, des courbes statistiques, des cailloux et des amoncellements d’ordures.

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© Stanislas Guigui / Agence Vu’

Il y a beaucoup d’enfants, et des hommes grandis trop vite. Des moutons pouilleux partant à l’abattoir.

Vivre à El Cartucho, la photographe en a fait l’expérience, c’est apprendre à survivre, se préparer pour le monde de demain, qui ici a commencé depuis déjà bien longtemps.

Agenouillez-vous, vous êtes mis en joue, et priez pour que votre mère n’apprenne votre décès que le plus tard possible.

On viole des poupées, on fume du crack ou des pétards remplis de coke, on rit une dernière fois, les yeux exorbités.

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© Stanislas Guigui / Agence Vu’

Au cœur du livre, portant un fouloir rouge noué sur la nuque, un homme danse, toréant la mort, mais ses heures sont comptées.

El Cartucho est un livre hugolien, il est d’un travailleur de haute houle quand autour de lui les couteaux de tous les enfoirés de la terre sont tirés.

Au son des mariachis, Christ de Miséricorde observe tout cela, les moignons, les rages d’être, les gangs, les prostituées obèses, les pauvres fous.

L’apocalypse commence là où la notion de pitié ne dit plus rien à personne.

A El Cartucho, il faut être déjà mort pour ne pas être très vite définitivement cinglé.

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© Stanislas Guigui / Agence Vu’

Dialogue :

– Tu es tout blanc, tu devrais boire un Coca-Cola gringo !

– Ferme ta gueule de rat, fils de pute, sinon tu vas voir où je vais te l’enfoncer, le Coca !

Leçon : la sauvagerie protège de la sauvagerie.

On bande encore par les mots quand le corps menace de faire défaut.

Autre leçon : « Si la drogue tue en partie le désir sexuel chez les hommes car, sous l’emprise de trop de stupéfiants, ils n’arrivent pas à avoir d’érections correctes, tout le sang affluant vers le cerveau et le haut du corps, les femmes, elles, sont surexcitées par les vapeurs de crack et très frustrées par cette situation. Du coup, elles sont très agressives et beaucoup deviennent lesbiennes pour combler leur désir, le plus souvent par dépit ou parce qu’elles ont aussi effectué de longs séjours en prison. »

En préambule de son livre, Stanislas Guigui cite admirablement, en contrepoint absolu de tout le reste, Charlie Chaplin.

Extrait du discours final du film Le Dictateur (1940) : « Chacun de nous a sa place et notre terre est bien assez riche, elle peut nourrir tous les êtres humains. Nous pouvons tous avoir une vie belle et libre, mais nous l’avons oublié. »

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Stanislas Guigui, El Cartucho, Le Royaume des Voleurs, textes de François Cheval, Michel Philippot, Stanislas Guigui et Charlie Chaplin, éditions du Chêne – Hachette Livre, 2018

Stanislas Guigui

Editions du Chêne

« A l’heure des embouteillages, l’avenue Caracas était complètement congestionnée. Une armée de clochards en guenilles sortait de la nuit pour attaquer les voitures et les passants à coups de pierres et de bâtons. »

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© Stanislas Guigui / Agence Vu’

Stanislas Guigui est représenté par l’Agence Vu’

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