
Talia Chetrit, photographe née à Washington DC en 1982, vivant et travaillant à New York, a fait de son appareil de vision le partenaire d’un jeu érotique très maîtrisé.
Il fascine, mais elle lui retire le pouvoir de la posséder totalement. Elle montre tout, mais ce qu’elle dévoile n’est qu’une surface de chairs, de plis et de déplis.
Elle offre son sexe, mais contrôle toute déprise possible.
Son œuvre est une brûlure de glace, un manque d’air provoquant la montée de sang.


Showcaller, que publient à Londres les éditions MACK, permet de prendre la mesure d’un travail multiple dans ses obsessions, reprenant une sélection de travaux produits entre 1994 et 2018.
Talia Chetrit rend compte de façon hybride, en des images de diverses natures, du théâtre des apparences, de la forme des corps dans l’espace, et surtout de la façon dont la petite fille devient dans l’ambiguïté des injonctions et pressions sociales une femme.
Ses photographies peuvent être considérées comme des études, à la façon des maîtres du classicisme, ou même, plus près de nous, de Francesca Woodman.
On pense aussi, pour le trouble identitaire, à Cindy Sherman, ou même au féminisme de Vanessa Beecroft travaillant le corps comme matériau premier de tableaux vivants construits comme des armes de guerre et de séduction.
Les jambes sont ici ouvertes non pour interroger l’origine du monde, mais pour exposer la réalité d’une vulve appartenant à une bonne moitié de la population mondiale.

Est-il trop tard pour avoir une vie privée ?
Mon corps m’appartient, mais je vous l’offre en partage. De toute façon, les réseaux l’ont déjà dépecé, morcelé, ironisé.
Quand le marché mondial s’empare du corps des petites filles et accentue leur sexuation pour faire gonfler le portefeuille des actionnaires, Talia Chetrit leur redonne au moins le pouvoir d’être troublantes.

La demoiselle en bas résille bleus porte maintenant de longues bottes en cuir et, devenue femme, exhibe sa fente avant que vous ne cherchiez à la posséder.
Showcaller rassemble des autoportraits, des portraits d’amants, des photographies de rue, des natures mortes et des scènes de meurtre fictives.
Talia Chetrit est une artiste courageuse, mettant symboliquement à mort la jeune fille qu’elle fut peut-être en ne cessant de mettre en scène sa sexualité.

La voici, elle ou quelque complice, dans un pré avec son amant, tenant le cordon ombilical d’un déclencheur permettant de photographier ses ébats.
Comment se libère-t-on de ses chaînes (l’objet est ici récurrent), de son enfance ?
Comment l’esprit vient-il aux filles ?
Comment vieillit-on en couple ?
Dans la rue, c’est le balai des corps partant au travail, transformant en dollars des après-midis qui pourraient être consacrées à l’amour.
Dans son atelier, l’artiste s’est dévêtue, cherchant par des positions inattendues des équivalences possibles entre son appareil photographique et son sexe.
Cette femme est belle, radicale, et se fout comme de sa première jupe de la censure des bien-pensants.
La pulsion scopique, d’autant plus forte que le capitalisme renforce son puritanisme, nous transforme en voyeurs.
Il faut imaginer Talia Cherit, adolescente s’interrogeant sur les métamorphoses de son corps et la puissance de son plaisir, décidant d’exposer le secret de son anatomie, loin de toute idée de péché, mais surtout pas de subversion.
Talia Chetrit, Showcaller, textes Sarah Motalebi, Ruba Katrib et Moritz Wesseler, MACK (London), 2019, 140 pages
Talia Chetrit est représentée à Milan par la galerie Kaufmann Repetto