
Il fait très chaud, les températures sont dantesques, les moustiques complètement dingues et les filles inaccessibles.
Maintenant, c’est plus calme, c’est l’automne, il est temps de rejoindre le Sud, ses rêves de surface, son glamour, ses cocktails et ses peaux gorgées de soleil.
Bien sûr, tout cela est une fiction, mais il peut être délicieux d’y croire.

Le film est en deux épisodes, prenant pour double titre, dans des esthétiques très différentes, French Riviera et Saint Tropez.
Le producteur s’appelle Louis Vuitton, les réalisateurs respectivement Slim Aarons et Osma Harvilahti, qui ne sont pas des cinéastes mais des photographes reconnus.
Le premier est un Américain né en 1916 à New York, ayant accompagné l’armée lors de la libération de l’Europe, devenant par la suite photographe free-lance pour Hollywood, ramenant des images de la jet-set pour le magazine sur papier glacé Holiday et de nombreuses autres publications internationales, inspirant même en 1954 le personnage de Jeff joué par James Stewart dans Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock. On le voit très souvent sur la Côte d’Azur, c’est une star côtoyant d’autres stars, ses photographies influençant dans les années 1990 l’univers de la mode. Il décède en 2006, sa vie fut fantastique.

Le second est d’une toute autre contrée, la Finlande, où il est né en 1983. Photographe sensible aux infinis détails du quotidien, Osma Harvilahti aime la rue, les variations musicales, les rencontres insolites. Installé à New York, travaillant parfois à la limite de l’abstraction, sa recherche n’est pas celle du pittoresque, mais de l’universel dans l’élémentaire, dans une œuvre déployant des correspondances chromatiques très subtiles.
L’ouvrage qu’il consacre à Saint Tropez la frénétique est pourtant d’une grande douceur et d’un calme souverain dans les compositions, accordant aux formes des objets de la réalité une présence pleine et quasi autonome.
Une échelle menant à la mer, des plans de toitures et de fenêtres à l’heure où le soleil cogne fort, une figue sur un plateau ou le pied d’un verre à champagne renversé.

Il y a de la drôlerie sèche dans ses images, des facéties d’enfant, tel un poulpe crachant de l’encre sur les pieds de son pêcheur.
La petite ville symbole de la dolce vita à la française est sous ses yeux intergénérationnelle, se moquant du temps et d’elle-même, mosaïque de formes et de couleurs douces, frangée par la puissance de toutes les nuances de bleu.
Il y a des peintres du dimanche et de toute la semaine, des villas closes, des chats à la fourrure impériale, des plages privées, des tomates sur le point d’éclater.

Osma Harvilahti est très sensible à la texture des peaux, à la beauté des visages et des dos, comme à ceux des végétaux.
Son Saint Tropez est une héraldique discrète, une chambre des solitudes sans drame.
Voici la nage d’une nymphe dans une piscine, des stalactites de bougies, des irisations merveilleuses, un oursin dans un gant bleu.

Des objets reviennent, des couleurs, des pans d’édifices.
Saint Tropez est un marché du dimanche matin où l’on prend le temps de vivre, de respirer, et de se dégager, par l’humour et les gestes légers, de l’humanité homicide en soi.

Autres plaisirs avec Slim Aarons dont le livre sur papier glacé, French Riviera, est un hommage à la presse vendeuse de rêves.
Des familles souriantes, des jeunes femmes aux seins ronds, des yachts, des corps à demi-nus étendus sur le sable ou au bord des piscines.
Chez Slim Aarons, le corps est libre, il est français, universel, et hautement civilisé.

Le point de vue n’est bien entendu aucunement marxiste, faisant l’éloge du luxe et de la beauté des plus chanceux.
French Riviera est une rêverie, c’est une séance de ski nautique à deux pas du Carlton, à Cannes.
Des starlettes, des Apollons, et des piscines incroyables surplombant la mer.

Corps huilés de monoï, paradis de fleurs, villas patriciennes regorgeant de merveilles.
Slim Aarons photographie ce qui existe sans exister, comme Woody Allen dans Magic in the moonlight, sans complexe, ni fausse pudeur, alimentant par ses images l’illusion d’une pacification générale des rapports humains.

French Riviera est un magazine des années 1970, le livre d’un Américain amoureux d’une carte postale, témoignant du bonheur franc d’être là et surtout pas ailleurs.
Vous êtes John Robie (Cary Grant), cambrioleur assagi, vous êtes amoureux de France Stevens (Grace Kelly), conduisant une merveilleuse décapotable sur les hauteurs de Nice, vous souriez, vous êtes le plus heureux des hommes.
Slim Aarons, French Riviera, texte Patrick Remy, éditions Louis Vuitton, 2019
Osma Harvilahti, Saint Tropez, entretien par Daniel Poulain, éditions Louis Vuitton, 2019