
Lauréat du prix Maison Blanche 2018, donné dans le cadre du festival PHOTO MARSEILLE, Shinji Nagabe est un artiste d’origine japonaise ayant grandi au Brésil, avant de rejoindre la France.
Son livre, Espinha, offre de manière syncrétique un bel aperçu de sa double culture, exposant avec une grande force visuelle une identité métisse constamment rejouée en des mises en scène malicieuses.
Espinha est un mot portugais désignant la colonne vertébrale, que l’on peut comprendre ici comme la structure même d’un livre ouvert à l’altérité, dans l’étrangeté fondamentale de toute chose regardée d’un œil neuf.

Reprenant sept séries effectuées dans cinq Etats brésiliens différents, Bahia, Sao Paulo, Pernambuco, Alagoas, Sergipe, l’ouvrage de Shinji Nagabe est un hommage aux couleurs et aux rites d’un pays multiple, marqué par des disparités sociales très fortes, mais aussi la puissance du rêve collectif d’être un peuple reflétant la diversité du tout-monde.
Un banian de lumière rouge ouvre la danse, c’est une belle métaphore.

Avec la complicité des enfants, le photographe construit une fable doucement fantastique, faisant poser ses modèles sur fond de jungle ou de maisons à la précarité dignement tropicale.
Chacun porte un masque différent, façonné avec les éléments du bord, de l’aluminium, des bandes en plastique multicolores, des épingles à linge, des ballons gonflables, de la tulle, des fleurs.
L’imaginaire l’emporte sur le document réaliste, sans oublier pourtant de faire ressentir le poids du quotidien, et ses possibilités de joie.

Espinha est un creuset en forme d’arête dorsale.
Ionna Mello en résume ainsi le propos : « Shinji Nagabe est journaliste de formation. Sur ses photographies, l’aspect documentaire est perceptible dans son interaction avec l’histoire de chaque région, les pratiques coutumières des villageois et la culture locale. Mais cette réalité est rapidement emportée vers un monde de fantaisie où les objets acquièrent de nouvelles significations, où les personnes photographiées gagnent une nouvelle identité derrière le masque qui cache leur visage. »
L’identité est un masque, un jeu, une construction.

En des compositions ludiques, amusantes, élaborées avec le plein accord de ses modèles, Shinji Nagabe se plaît, dans la clarté même de ses images, à brouiller les repères représentatifs, plaçant les personnes qu’il photographie sur une pirogue, derrière un mur de pastèques, les pieds dans l’eau, la poussière ou le sable.
Beauté du dos d’un homme – serait-ce un enfant ? -couvert de farine.
Enfer de l’esclavage.
Atrocité des enfermements identitaires.

Grâce douloureuse d’une couverture de survie jaune flottant sur le bateau Occident ayant la forme d’un cratère.
Shinji Nagabe n’affirme, ni n’assène rien, offrant à ses spectateurs la chance d’une œuvre ouverte.
Shinji Nagabe, Espinha, texte Ioanna Mello, Le Bec en l’air, 2019, 98 pages
