
Le baron Adolphe de Meyer (1868-1946) est un photographe d’origine allemande ayant séjourné au Japon lors d’un tour du monde au début du XXème siècle peu après son mariage.
Il y réalisa nombre de photographies aujourd’hui conservées au Metropolitan Museum of Art de New York, observant surtout les paysages et les temples d’un pays alors encore très inconnu, objet de beaucoup de fantasmes.

Lorsque le visage de son épouse Olga apparaît, il est d’une mélancolie déchirante.
Les éditions Louis Vuitton offrent aujourd’hui à ce photographe de la volupté calme des cerisiers en fleurs et de la noblesse des lieux de culte une superbe édition intitulée sobrement Japan.

Mort dans la pauvreté et l’anonymat à Los Angeles, après avoir été notamment reconnu par Alfred Stieglitz et avoir travaillé dans l’univers de la mode pour Vogue, Adolphe de Meyer se présente à nous en majesté dans une publication d’une élégance folle, les pages étant liées deux par deux, laissant entrevoir dans le bouffant de leur ouverture un papier gold brillant évoquant l’éblouissement d’une illumination, la possibilité d’un satori.
En attendant, tout est paisible, parfaitement ordonné, comme une succession de porches donnant sur l’invisible.

La culture traditionnelle n’est pas ici un antagonisme de la nature, mais son prolongement évident, l’un de ses accomplissements.
Il faut prendre le temps de regarder chaque image, entrer dans les bienfaits de leur silence, en respirer le parfum secret.

On passe sous l’arche d’un sanctuaire shinto, on a les yeux très ouverts, chaque détail compte.
Nous sommes à Tokyo, à Kyoto, à Nagasaki, à Kobe, et dans l’immémorial.
Adolphe de Meyer photographie l’harmonie, la douce rencontre de l’homme de prière et d’un environnement marqué par le soin de ses gestes.

Se placer à la bonne distance, ne rien déranger, ne pas faire plus de bruit qu’une feuille se posant sur le chemin de terre.
Un Bouddha fait semblant de dormir, mais ne vous surveille pas, vous êtes libre d’évoluer dans la contrainte de votre karma.
Beaucoup de photographies offrent en leur centre une bouche d’ombre, ou un carré de lumière. Il faut y voir la présence d’un kami souriant et discret.

Des nénuphars, des palissades en bois, des parcours d’eau.
Irisation fabuleuse des photographies primitives témoignant sur papier albuminé de l’or du temps.
Japan est un hymne à la paix, à la délicatesse, à la juste mesure.

« Sans s’inscrire totalement dans la lignée des images produites par les allochtones, alimentant un certain romantisme et des idées reçues sur un mode de vie qui leur était étranger, analyse l’historienne de l’art Camille Mona Paysant, de Meyer évite les écueils de la photographie japonisante en réalisant, avec sa rigueur et ses convictions, de véritables documents ethnographiques. Il tend ici à mettre en lumière les symboles du Japon, sans tomber dans le cliché et en gardant intact son émerveillement premier. De là se dégage une réelle pureté qui fait de cette série l’œuvre bouleversante d’un voyageur curieux et d’un artiste cultivé. »
Adolphe de Meyer, Japan, textes de Camille Mona Paysant et Sylvie Lécallier, Louis Vuitton Editions, 2019