
C’est si évident parfois qu’on peine à le reconnaître, mais le livre de photographie, quand il est conçu comme une totalité organique, comme un être vivant, comme un double palpitant de l’auteur, est l’un des derniers refuges de la délicatesse dans un monde broyant les sensibilités, ou les exacerbant jusqu’à l’inutile.
Il faut un bel équilibre, de la douceur, et de la rage certainement dans le désir d’aller jusqu’au bout d’un acte risqué.

Vague de rêve, de Maria Baoli, est de ces ouvrages qu’on n’ouvre pas trop vite, qu’on n’écartèle pas trop vite, quand on a compris qu’il contient des trésors.
Wave of Dream est une danse du vivant, ample et intime, une chorégraphie de formes se répondant et se poursuivant pages après pages.
Un plumage, des lianes, des lèvres disposées de façon verticale, sexuelles et étranges comme un insecte tropical.

Un éléphant s’est endormi, rêvant sûrement ce livre.
Les chakras sont ouverts, la position de méditation est confortable, tout peut arriver, jusqu’au voyage astral ou la dépersonnalisation extatique.
Aucun systématisme dans les cadrages ou les tonalités, mais le panorama, lointain et proche, d’un matin du monde.

Des sources, des jouissances, une nature féconde, abondante, mystérieuse.

Maria Baoli se met la tête à l’envers, ramasse une épingle, une écaille ou un cheveu, chute vers le ciel et découvre la canopée d’une forêt primitive.
La canopée, c’est aussi le dos d’une femme nue, et la poussée de la colonne vertébrale à l’orée des fesses.

Des chardons, des papillons, la nuit remue, comme les phoques là-bas, au large, drôles et ridicules.
La photographe écrit : « On en sort aveuglé / de la noirceur / qui éclaire / notre imaginaire »
Son livre est une mare, un marigot, un point d’eau créateur d’images : des coquillages, un cheval blanc, des feuillages en majesté, des stalagmites, le marbre d’une cuisse humaine en apesanteur.

Vague de rêve est un effet de prestidigitation, un autoportrait, une jungle d’inquiétante étrangeté et de tendresse envers la peau et la forme de ce qui est, s’érige, et persiste dans son orbe.
Les derniers mots sont de Pessoa (Le Livre de l’intranquillité), qui désigne le spectateur : Ce que nous voyons n’est pas fait de ce que nous voyons mais de ce que nous sommes. »
Maria Baoli, Vague de rêve, Wafe of Dream, textes Maria Baoli, design Elena Bollette & Maria Baoli, cargocollective.com/MariaB, 2019 – 200 exemplaires numérotés et signés
