Algérie, la douceur d’une datte noire, par Tytus Grodzicki, photographe

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©Tytus Grodzicki

On connaît très mal l’Algérie, épargnée jusqu’à aujourd’hui de la défiguration/dénaturation par le tourisme de masse.

On la connaît très mal, et l’on aime qu’elle reste mystérieuse, ne se révélant qu’avec pudeur.

On voit et l’on entend pourtant ses poussées de fièvres, on voit et l’on entend la force de ses enfants, on voit et l’on entend la beauté de son peuple.

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©Tytus Grodzicki

Des amis reviennent de la capitale, d’Oran, du désert, ils murmurent, s’expriment avec douceur, invitent à la découverte, avec passion mais, surtout, sans empressement.

Connaissez-vous cette variété de dattes, cultivée dans la wilaya de Biskra, appelée la deglet nour, suave et translucide, laissant apparaître son noyau devant une source de lumière ?

Ne serait-ce pas un rêve d’Algérie, l’ambition de bonheur et d’évidence d’un pays aux mille atours, avant que d’être un livre, inquiet, âpre, fort, peuplé de solitudes du photographe polonais Tytus Grodzicki ?

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©Tytus Grodzicki

Chez lui, l’Algérie est le pays du fatum, du destin, de l’attente.

Tytus Grodzicki photographie les corps, les visages, les sourcils froncés.

Ses doubles pages ont des propriétés immersives, qui happent le regard et les émotions.

La mélancolie est perceptible, entre les grands ensembles de Ferdinand Pouillon ou les jardins de bord de mer.

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©Tytus Grodzicki

Au loin, des cargos et des ferryboats, des rêves d’ailleurs, la possibilité d’une autre vie.

Les belles d’Annaba ne portent pas toute le foulard, et, même si les ombres semblent progresser, leur fierté superbe les protège de l’asphyxie.

Yasmina Khadra s’exalte : « En Algérie, les Hommes importent plus que les monuments. Chacun d’eux est une leçon de vie. Les Algériens ont trop souffert pour se complaire dans le malheur. Ils ont appris à surmonter la douleur pour ne rien lâcher de la promesse des lendemains qui chantent. C’est un peuple généreux qui se méfie des rancœurs, prêt à donner sa dernière chemise pour un sourire bienveillant. »

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©Tytus Grodzicki

Dans la rue, à même le trottoir, il y a un babyfoot.

Non loin de là, un pédalo abandonné près d’un édifice surmonté de barbelés attend la venue des jours meilleurs.

Il fait froid, il fait misère, il fait un temps à s’accrocher au moindre sourire.

Des marchés et des trafics, des oiseaux en cage et des œillades de drague, de la culture populaire et des jupes impeccablement plissées.

Une amoureuse prend la pose dans les ruines de Timgad.

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©Tytus Grodzicki

A Biskra, on entend, venue d’une boutique, la voix du leader de Gwana Diffusion : « Je voudrais un fauteuil dans un salon de coiffure pour dames. / Pour que les fesses des belles dames s’écrasent contre mon orgueil. »

Il a plu à Alger, des jeunes s’échauffent à l’orée de la Casbah, alors qu’à Oran il est l’heure de rentrer de l’école, cartable sur le dos, et qu’à Ghardaïa se déroule dans le terrain vague longeant une route principale une nouvelle partie de foot mémorable.

Voilà la vie en grand format quand la réalité mène parfois au rétrécissement de soi.

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©Tytus Grodzicki

Voilà des hommes se donnant la main (bonjour Walid), voilà des antennes paraboliques, voilà du linge séchant sur les toits.

L’Algérie de Tytus Grodzicki n’est pas magnifiée, mais on ne peut s’empêcher de la trouver magnifique, parce qu’encore vraie, jusque dans ses terribles tourments et ses impasses.

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Tytus Grodzicki, Deglet Nour, textes de Yasmina Khadra et Bartek Sabela, book design Aneta Kowalczyk, Blow Up Press, 2018 – 400 copies

Blow Up Press

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Tytus Grodzicki – site

Ecouter Gnawa Diffusion

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©Tytus Grodzicki

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