La Non-Maison, micro-centre d’art à Aix-en-Provence, par Michèle Cohen, sa fondatrice

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© Bernard Plossu

« Je veux rester ici. Les Incas possédaient un passage souterrain dans leur demeure qui leur permettait d’accéder à un jardin secret, un jardin qui s’appelait en langue inca Nanenkepichu ce qui veut dire la Non-Maison. » (Anaïs Nin, Le feu, 1934-1937)

A l’initiative de la création du micro-centre d’art la Non-Maison à Aix-en-Provence, Michèle Cohen a conçu la présence de son lieu dans le champ de l’art contemporain comme un laboratoire, ouvert généreusement aux artistes et aux expérimentations formelles.

Travaillant au cœur de l’interdisciplinarité, la Non-Maison est un lieu d’exigence, d’éclectisme et d’amitié.

S’intéressant aux pas-de-côté bien plus qu’aux parcours balisés de la reconnaissance officielle, Michèle Cohen a pensé son centre comme une œuvre ouverte, en constante expansion.

Espace de résidence apprécié, la Non-Maison est aussi une structure éditoriale, ayant notamment publié plusieurs fois le photographe Bernard Plossu en ses chemins de traverse.

J’ai souhaité recueillir pour L’Intervalle la parole libre de la fondatrice de cet endroit singulier et important en région Paca.

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© Bernard Plossu

La Non-Maison est un micro-centre d’art créé à Aix-en-Provence en 2000. Quel a été l’acte fondateur de ce lieu ? Pourquoi ce choix d’une nouvelle structure à vocation culturelle dans la ville provençale ? Y avait-il un manque ?

J’avais besoin d’une structure pour exprimer mes idées et exposer les artistes en qui je crois. Certains remplissent les pages blanches d’un livre, moi j’avais besoin d’un espace mental d’expression. Espace mental et nomade en 2000 lors de sa création, car à l’époque je n’avais pas de lieu. Ce n’est qu’en 2007, lorsque je me suis installée au 22 rue Pavillon à Aix-en-Provence dans une maison de ville que j’ai pu créer un centre d’art.

Je considère qu’il y avait un manque au niveau de l’art contemporain à Aix, « l’art en train se faire » comme on dit, et j’ai créé ce lieu avec ce besoin d’aller voir de plus près dans le processus de création.

Quel est votre parcours professionnel ? Pourquoi un tel engagement en faveur de l’art ?

J’ai mené de front une maîtrise de droit à Aix-en-Provence et une maîtrise d’histoire de l’art à la Sorbonne à Paris IV que j’ai complétées après à Paris par un Dess de Gestion des institutions culturelles à Paris-Dauphine. J’ai le titre d’ingénieur culturel.

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© Bernard Plossu

Avez-vous pensé la Non-Maison comme un lieu de recherche, voire un laboratoire ?

Oui, exactement. Un laboratoire qui s’intéresse au processus de création quels que soient les époques et les continents. J’ai pu travailler avec Renaud Ego, poète, qui a écrit sur l’art paléolithique, comme avec Abdellah Karroum, curateur et fondateur de L’Appartement 22 à Rabat, en passant par Colin Roche, compositeur travaillant sur le silence…mon champ de recherche est interdisciplinaire.

Qui sont vos soutiens privés ou/et institutionnels ?

J’ai été soutenue par le Conseil général des Bouches du Rhône et la région Paca, ainsi que par la Mairie d’Aix. La Fondation Almayuda a pris le relai, c’est une fondation privée située à Barcelone.

Vous avez accueilli en résidence depuis 2000 un très grand nombre d’artistes. Pourriez-vous en rappelant certains des noms ayant marqué l’histoire de votre lieu témoigner de l’éclectisme de vos choix ?

Je pense à Harel Luz, un artiste israélien qui n’avait pas de projet. C’est la raison pour laquelle je l’avais sélectionné ! Je pressentais une très grande disponibilité et une grande ouverture d’esprit de sa part.

Je peux citer aussi Tomas Colaço, un artiste portugais qui a transformé la Non-Maison en cantine et qui s’est installé au rez-de-chaussée, laissant la résidence aux étages vide comme un musée.

Je pense aussi à Olga Theuriet qui est arrivée de Dijon à La Non-Maison ne se considérant pas comme une artiste et qui a eu le prix de l’Ecole du regard… car ce presque rien sur lequel elle travaille est infiniment précieux.

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© Bernard Plossu

Comment choisissez-vous les projets ?

Sur leur ouverture, leur justesse et leur engagement.

Bernard Plossu a plusieurs fois été exposé chez vous. Quelles valeurs de fond symbolise pour vous son parcours artistique ?

J’aime ses photos, elles sont une inspiration sans fin pour moi. Je crois que j’ai exposé ses fonds de tiroirs, les photos que ses galeristes ou musées ne regardent pas et qui m’intéressent au plus haut point : des poteaux électriques, des formes cubistes, l’atelier du peintre Patrick Sainton, etc.

Vous collaborez régulièrement avec le commissaire d’exposition Abdellah Karroum, fondateur à Rabat, vous l’avez mentionné, d’un lieu dédié à l’art contemporain, L’Appartement 22. Comment travaillez-vous ensemble ?

Je l’ai invité en 2011 en résidence à la Non-Maison. Ce fut une comète. En trois semaines, il a fait des allers retour entre Paris et Londres. Mais son passage a été fulgurant. J’ai été séduite par son approche insolite du monde de l’art et son engagement. J’ai invité d’ailleurs beaucoup d’artistes qui travaillent avec l’appartement 22 depuis en résidence à la Non-Maison. Il y a des affinités. Je pense à Fadma Kaddouri, une artiste originaire du Rif comme lui. Je suis moi-même originaire par ma mère de Kabylie et il y a des correspondances qui s’établissent de manière invisible, on se comprend sans se parler.

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© Bernard Plossu

Votre dernier livre publié s’intitule Une journée avec… Henry Miller, de Bernard Plossu (2015). Vos activités éditoriales vont-elles se poursuivre ?

Oui, ce livre a été réalisé car Miller a connu Anaïs Nin et Anaïs Nin a donné le nom « la non-maison » à mon centre d’art. Je voulais aussi créer cette collection « une journée avec » pour faire témoigner des artistes de ce qui a été fondateur pour eux de leur art en un temps éclair. Il faut quelquefois une seconde pour que tout bascule (en bien comme en mal).

Si je trouve des partenaires financiers, je continuerai à éditer des livres mais avec le net, tout se dématérialise, ce n’est pas évident.

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© Bernard Plossu

Depuis sa création, quels ont été les événements majeurs ayant eu lieu à la Non-Maison ? Votre projet initial a-t-il évolué ? Comment voyez-vous l’avenir de votre structure ?

Les projets importants sont l’Ecole du regard, que j’ai créée en 2011, une école libre ouverte à tous qui s’intéresse au mystère de voir.

Il y a eu aussi la contrevoie avec Bernard Plossu, Rudy Ricciotti, Michael Serfaty et Claire Reinier qui s’attachaient à une troisième voie de l’art, le pas-de-côté si vous voulez.

Puis un coin du monde en 2016 qui a transformé la Non-Maison en maison œuvre de la cave au grenier en hommage à Gaston Bachelard et sa poétique de l’espace. L’artiste Sandra Ancelot m’a beaucoup inspirée pour ce projet et elle a réalisé des plans de la Non-Maison idéale.

Puis le symposium organisé par ma fille Sacha Guedj Cohen au château La Coste qui avait fêté les vingt-cinq ans de l’exposition historique Chine Demain que j’avais organisée à Pourrières dans le Var avec des artistes chinois en fuite de Tian’anmen en 1990, et qui sont devenus aujourd’hui de très grands artistes. Sacha a retrouvé les archives oubliées et cet acte de transmission m’a marquée et émue profondément. Ce fut une réussite. Un livre va suivre.

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© Bernard Plossu

Vous êtes proche de Bernard Marcadé et Bartomeu Mari. Comment leur esprit, leurs idées, leurs travaux, sont-ils présents à la Non-Maison ?

Par leur insoutenable légèreté de l’être.

Qu’est-ce que la Non-Maison Paris ? Comment avez-vous pensé cet espace d’exposition ?

La Non-Maison Paris, c’est un nouvel espace nomade qui organisera des rencontres dans des lieux différents de Paris… C’est encore prématuré pour que j’en dise plus.

Qu’est-ce que l’Ecole du Regard ? Est-ce un programme de conférences très libres offertes aux participants ? Renaud Ego, Michel Guérin, Yves Michaud y ont par exemple participé.

J’ai créé l’Ecole du regard pour comprendre le mystère de « voir ». J’ai invité des chercheurs, des médecins, des ophtalmos, des critiques d’art, des philosophes et des artistes à venir s’exprimer sur ce sujet.

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© Bernard Plossu

Vous avez invité le photographe John Cohen, ami de Jack Kerouac, Robert Frank et d’Allen Ginsberg, auteur de Young Bob, livre consacré au jeune Bob Dylan. Quels souvenirs gardez-vous de sa venue ?

Il a passé son temps avec un chevalet et des aquarelles sur la Sainte-Victoire à peindre. Il n’a pris aucune photo. Il avait quatre-vingts ans et vivait dans le présent. Une leçon. Un jour il a laissé passer le dernier bus et il est rentré à pied comme Cézanne.

Qui sont vos prochains artistes en résidence ?

Mustapha Akrim, un artiste qui vient de Rabat et Julien Devaux, un artiste qui vit au Mexique…

Propos recueillis par Fabien Ribery

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« Au delà de l’histoire racontée », curatrice Sacha Guedj-Cohen, 9 et 10 juillet 2016 au Couvent des Minimes et au Château La Coste

Les photographies illustrant cet article sont issues de l’ouvrage de Bernard Plossu, Les Poteaux électriques, La Non-Maison, 2019

La Non-Maison

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« Au delà de l’histoire racontée », curatrice Sacha Guedj-Cohen, 9 et 10 juillet 2016 au Couvent des Minimes et au Château La Coste

Fondation Almayuda

 

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Berne dit :

    Merci belle amie pour cette poèsie légère ( non sans profondeur) du vécu créatif mystérieux du « voir ». Douce amitié.Gérard Berne art’penteur photographe

    J’aime

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