Laudato si’, par Serge Latouche, objecteur de croissance

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« Quand on a un marteau dans la tête, disait Mark Twain, répondant peut-être ironiquement à Nietzsche, on a tendance à voir tous les problèmes sous la forme de clous. »

En rangeant quelques cartons de livres, je m’aperçois que je n’ai pas pris le temps de chroniquer l’essai de Serge Latouche, Comment réenchanter le monde, La décroissance et le sacré (Bibliothèque Rivages, 2019), pourtant lu dès sa publication.

Il lui fallait peut-être attendre une pandémie, un confinement à peu près mondial, un affolement généralisé quant au sens que nous mettons dans nos actes quotidiens, des dizaines de milliers de morts, beaucoup de souffrance.

Contre l’hypostase de l’argent dans « la religion du capital » (Paul Lafargue), Serge Latouche propose une pensée de désacralisation de ce dieu hideux, en relisant notamment d’une manière laïque l’étonnante encyclique du pape Bergoglio, Laudato si’, rompant le lien entre salut, logique de croissance infinie et automaticité du progrès (la maximisation du PIB).

« Le progrès, c’est là votre chimère, écrit Arthur Schopenhauer, il est le rêve du XXe siècle comme la résurrection des morts était celui du Xe, chaque âge a le sien. »

Que sont les vraies richesse ? L’intégrisme ultralibéral n’a-t-il d’autre ambition que de faire disparaître « l’odeur du sang qui émane du cash » ? Faut-il payer pour rédimer nos péchés d’accumulation de biens et de pauvres fétiches ? Comment comprendre et justifier la notion d’intérêt ? Et la philia grecque, constitutive de la noblesse du projet démocratique ?

In God We trust, est-il mentionné tel un mantra sur le billet vert.

Plus que sous l’emprise de l’utilitarisme analysé par Adam Smith et Bentham, nous vivons sous l’envoûtement du capitalisme animiste, vénérant notre Smartphone comme on se couche devant le Veau d’or.

La banalisation du mal procède ainsi d’un aveuglement collectif, créé par la puissance exponentielle du « bluff technologique » (Jacques Ellul).

Après avoir exposé la pensée de Benoît XVI en matière d’économie, telle que déployée dans Caritas in veritae – où le terme de développement ne cesse d’être rappelé à la façon d’un mythe fondateur, la doxa économique devenant la profession de foi d’un nouvel évangélisme considérant l’omnimarchandisation comme facteur de paix -, Serge Latouche s’enchante des vœux d’écologie intégrale du pape François – à la manière des trois écologies articulées par Félix Guattari, sociale, personnelle et environnementale.

Fidèle à l’esprit de François d’Assise, proche des théologiens de la révolution, il écrit par exemple : « Tout paysan a le droit naturel de posséder un lot de terre raisonnable, où il puisse établir sa demeure, travailler pour la subsistance de sa famille et avoir la sécurité de l’existence. Ce droit doit être garanti pour que son exercice ne soit pas illusoire. »

Laudate si’ dénonce ainsi le productivisme ravageur, tout en appelant à une tendresse renouvelée envers les créatures peuplant notre Terre mère, plus que jamais menacées par l’action de l’homme : « Le style de vie actuel, parce qu’il est insoutenable, peut seulement conduire à des catastrophes, comme, de fait, cela arrive déjà périodiquement dans diverses régions. »

Contre le surdéveloppement, la privatisation des communs et « la conception magique du marché », le pape François en appelle à un nouveau paradigme : « Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu’une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres. »

François – comme le Dalaï-lama se déclarant « marxiste » – analyse la nécessité d’un rapport de force favorable au peuple quand les puissants le privent du nécessaire, de l’élémentaire, de l’évident (l’eau, l’énergie, la subsistance première), espérant la venue d’une nouvelle dignité, loin du darwinisme social et des logiques de prédation.

Critiquant ses positions contre l’avortement et son idéologie « travailliste », Serge Latouche célèbre cependant un nouvel espoir, une nouvelle joie, apportés par une église sachant faire son autocritique, sans perdre son autorité morale et sa force d’exemplarité.

Si Castoriadis a pu écrire que « l’homme occidental ne croit plus à rien, sinon qu’il pourra bientôt avoir un téléviseur haute définition », il se pourrait bien qu’à la faveur d’une prise de conscience planétaire des désastres engendrés par ses inconséquences un autre monde, porté pour une grande part par les plus jeunes, soit envisageable.

Et Serge Latouche de s’enchanter : « Oui ! Il faut sacraliser la nature, comme il faut sanctuariser les rares espaces « vierges » que nous n’avons pas encore souillés, il faut rendre un culte aux Naïades des sources non polluées et aux Dryades des forêts non rasées pour faire du soja transgénique. »

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Serge Latouche, Comment réenchanter le monde, La décroissance et le sacré, Bibliothèques Rivages, 2019, 140 pages

Bibliothèque Rivages

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Se procurer Comment réenchanter le monde

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