Bigoudénie, où vivent les fauves, par Stéphane Lavoué, photographe

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© Stéphane Lavoué

Qui a passé « le test bigouden » est digne d’aimer.

Qui est capable d’entrer dans la lumière noire et la violence des tempêtes est apte à vivre avec l’impétuosité d’une femme.

Qui ne craint pas de rencontrer des fantômes peut être accepté dans le cercle des initiés.

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© Stéphane Lavoué

Installé avec sa compagne d’origine bigoudène et ses deux filles à Cap Caval, à la pointe du Sud du Finistère, Stéphane Lavoué est devenu un enfant du pays, parce que ses yeux, ses jambes, son art se sont confondus avec la simplicité, la démesure et la solennité d’un bout du monde marqué par la pêche, les récits de marins avalés par l’océan, le miracle, quelquefois, des filets remontés.

Après avoir parcouru le monde à partir de Paris, le photographe a posé son regard sur la communauté des travailleurs de la mer d’un territoire indocile, mais aussi sur les jeunes restés vivre là où le sentiment de plénitude peut se muer très vite en gouffre de désolation.

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© Stéphane Lavoué

Intitulant son nouveau livre aux éditions 77 Les Mois noirs – du breton Miz du -, Stéphane Lavoué fait référence à ce moment de basculement qu’est le mois de novembre, l’entrée dans l’hiver nécessitant souvent de rassembler ses forces physiques et psychiques, et de tenir la barre quand Dieu semble avoir abandonné chacun aux seuls courants des vents glacés.

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© Stéphane Lavoué

Dans ces solitudes, il y a des visages qui sont des métaphores, des épuisements qui sont les conséquences du courage, et des lumières rédemptrices faisant songer à ceux de la peinture flamande du Siècle d’or.

Aujourd’hui au port de Saint-Guénolé-Penmarch, les bateaux restent à quai, la mer furieuse ne souffrant pas la bravade.

Aujourd’hui au Guilvinec, dans son habit d’employée de marée, Lorie est une béguine ayant troqué le chapelet de prières pour le couteau tranchant la gorge des êtres de la mer.

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© Stéphane Lavoué

La glace est une nécessité de conservation, mais elle gagne aussi les cœurs contraints à la dureté.

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© Stéphane Lavoué

On compte les jours, on regarde le ciel, avant d’accepter de nouvelles épreuves, de nouveaux sacrifices, d’ultimes mises à nu de l’âme.

Le regard de Stéphane Lavoué n’est pas strictement documentaire, qui procède d’abord d’une capacité à élargir le fait social jusqu’à la dimension du mythe.

Les êtres qu’il se plaît à portraiturer sont des mutants, des cyclopes, des demi-dieux égarés.

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© Stéphane Lavoué

Ce sont les personnages très anciens et neufs d’une humanité persistant au-delà des ravages de l’Histoire.

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© Stéphane Lavoué

Les journaux du matin sont lus rapidement.

Qu’importe aux épiques les anecdotes promises à l’oubli et la sentimentalité fade des commentateurs apointés.

Eux, ce sont des forgerons aussi inébranlables que l’enclume qu’ils emploient, et des brodeuses aussi habiles que des fileuses immortelles.

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© Stéphane Lavoué

Eux, ce sont les machines-outils couvertes de suie dotées d’une présence considérable.

Eux, c’est Ludo le punk, c’est Pierre le marin pêcheur débarqué d’un tableau de quelque Vélasquez des bords de mer, c’est Eric le charpentier de marine maniant la hache comme un Sanson du temps de la Terreur.

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© Stéphane Lavoué

La Pointe de la Torche se noie encore une fois, les chevaux deviennent fous, les mouettes sont des oisillons foudroyés.

On est ici bien plus près du vertige d’être au monde de Pascal et de la Théogonie d’Hésiode, que du roman de province.

Les Mois noirs expose en ses images à la dimension indéniablement picturale toute la mélancolie et la force d’un peuple ancré dans un territoire nécessitant une endurance exceptionnelle.

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© Stéphane Lavoué

Non pas pour simplement continuer à vivre, mais pour continuer à regarder en face, presque sans ciller, l’immensité des naufrages à venir.

En postface, Bertrand Belin signe un texte admirable : « A voir leurs joues, le froid qui les empourpre et la détermination de leurs mains à ignorer la morsure par quoi les degrés absents se rappellent à eux, on devine la connaissance que la femme et l’homme ont de leur grandiose insignifiance. »

Cet oxymore dit tout le tohu-bohu d’une œuvre construite dans l’atemporel et le sublime du défi romantique quand il se confronte à l’illimité.

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Stéphane Lavoué, Les Mois noirs, texte Bertrand Belin, design graphique Atelier 25 (Capucine Merkenbrack et Chloé Tercé), éditions 77, 2020 – 1500 exemplaires

Editions 77

Stéphane Lavoué

Exposition Hent, Port Musée de Douarnenez – mi-juin, puis au Centre des Arts de Douarnenez pour une nouvelle série, octobre 2020

Exposition prévue à partir de décembre 2020 aux Champs Libres à Rennes et Musée de Bretagne

Exposition au Carré d’Art à Chartres de Bretagne à partir de novembre 2020 

 

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  1. Claire Dionet dit :

    Merci pour ce que vous partagez, donnez à voir, à lire, à ressentir. Vous parlez magnifiquement bien de ces photos captivantes et de ce pays. Ce n’est pas chose facile que de les saisir avec des mots dans toute la profondeur de leurs dimensions. Vous le faites avec merveille, et cela les sublime.

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