1937, une année particulière, par Paul Léautaud, écrivain

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Je ne sais pas vraiment pourquoi je continue à lire Paul Léautaud.

Pour le monument qu’est son journal littéraire (18 tomes, sans compter les contre-allées) ? Pour sa défense inconditionnelle des bêtes, qu’il recueillait volontiers dans son pavillon de Fontenay-aux-roses ? Pour ce qu’il révèle d’un certain esprit français, entre pointes brillantes et bassesses (antisémitisme, attitude pro-allemande durant la Seconde Guerre mondiale, élitisme assez dégoutant) ?

J’associe cet atrabilaire ayant une foi absolue en la littérature au Mercure de France, ce qui n’est pas rien, à Apollinaire, puisqu’il fit découvrir La Chanson du mal-aimé, à Paul Valéry, dont il fut l’ami, à Robert Mallet, avec qui il conversa pour la radio en 1950 (succès foudroyant), et surtout à Marie Dormoy, son amante, exécutrice testamentaire et légataire universelle de son œuvre, à qui l’on doit notamment les pages les plus brûlantes du Journal, qu’elle était chargée de dactylographier.

Ces passages trop explicitement sexuels la concernant, et prouvant la jalousie de Léautaud, aurait dû être détruits – travaillant à la Bibliothèque Sainte-Geneviève de l’université de Paris, en qualité de bibliothèque auxiliaire, Marie Dormoy, qui fut aussi l’amante de l’architecte Auguste Perret, avait nécessité de protéger sa réputation -, elle les a conservés, ce qui constitue aujourd’hui l’archive précieuse du Journal particulier, dont le Mercure a déjà publié les années 1933, 1935 et 1936

L’année 1937 vient de paraître (édition établie par Edith Silve), faisant état d’une dégradation de leur relation amoureuse, l’écrivain voulant lui ôter la charge de l’édition de ses œuvres – avant de se récrier.

Il recherche en elle une maîtresse ardente, mais aussi une mère, affectueuse, protectrice, lui qui redoutait au suprême le sentiment d’abandon.

« A une note dans laquelle je me demande quel sentiment elle peut bien avoir pour moi, que je voudrais bien savoir, elle a répondu : « Tendresse, sentiment, admiration », ‘compassion’. C’est moi qui mets entre guillemets. Compassion ! »

Obsédé par ses autres amants, évidents ou fantasmés, Léautaud craint les comparaisons, se montre méchant, injuste, se plaint, à la différence de son autre amante Anne Cayssac (appelée Le Fléau), de son manque de ferveur et de polissonnerie.

« En l’embrassant le soir, quelques minutes à une certaine place, j’aurais bien fait l’amour. Je ne lui ai, du reste, pas caché que je bande. Complète indifférence. Elle est malade, c’est entendu. Quand elle est bien portante, c’est de même. »

Alors que fusent les reproches, Marie Dormoy travaille, recopie inlassablement le journal, se donne à l’occasion, libère quelquefois son plaisir, généralement suivi d’un sentiment de malaise.

Le couple avance dans l’incompréhension, le manque de synchronie, mais il avance, Léautaud cherchant toujours à obtenir davantage que ce que son amante consent à lui offrir.

Elle : « Il y a tout de même autre chose, pour se voir, que de faire l’amour. »

Lui : « Pourquoi faut-il que tu aies eu un visage si triste, tantôt, quand je baisais tes seins ? »

Le lecteur curieux, ou affamé, pourra lire chez Albin Michel les centaines de lettres écrites par Léautaud à Marie Dormoy dans un volume publié en 1989.

Si l’aventure le tente.

Journal-particulier

Paul Léautaud, Journal particulier 1937, édition établie et présentée par Edith Silve, Mercure de France, 2020, 240 pages

Mercure de France

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2 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Soret Daniel dit :

    J adore votre article. Comment rester en contact. Daniel Soret

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  2. Max Hoffman dit :

    Super article et bel hommage à cet auteur qui n’est que trop peu connu et cité aujourd’hui. Continuons à le lire, continuons à le diffuser pour susciter de nouvelles lectures, voire passions !

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