
« Faire émerger de nouveaux corps utopiques et des fictions somatiques contra-sexuelles. » (Paul B. Preciado)
La photographie de genre monte en puissance, parfait, il est temps d’être plastique, mutant, joyeusement trans.
Pour son numéro annuel intitulé, à la façon de la navigation turbulente du vaisseau du capitaine Kirk, l’USS Enterprise-A, Intergalactique, The Eyes a adressé une carte blanche à la commissaire et productrice indépendante Nadège Piton et à SMITH, artiste et chercheuse trans.

Montrer des travaux peu visibles, les inscrire dans une généalogie (Claude Cahun, Pierre Molinier, Christer Strölholm, Annie Sprinkle, Nan Goldin, Peter Hujar), les faire connaître au plus grand nombre, telle est l’ambition d’une livraison passionnante, multipliant les portfolios – et esthétiques -, confiés à Amos Mac, Brice Dellsperger, Cassifs, Del LaGrace Volcano, Gabriel Garcia Roman, Genesis Breyer P-Orridge, Juliana Huxtable, Kama La Mackerel, Kent Monkman, Laurence Philomène, Marcel Bascoulard, Parker Day, Pierre Andreotti, Rhys Ernst & Zackary Drucker, Ron Athey, Sailor De la Jaquette, Sébastien Lifshitz, Shu Lea Cheang, Yuki Kihara & Dan Taulapapa McMullin.
Il s’agit ainsi par la photographie, pratique démocratisée, art du peuple d’aujourd’hui, d’exprimer son identité profonde, de la revendiquer, de la jouer, de la faire accepter, et de lâcher les paillettes.
Afrofuturisme, mythologies cosmiques et hybridations pour l’artiste Noire américaine Juliana Huxtable.

Fusion des deux identités de Genesis Breyer P-Orridge et sa compagne Jacqueline Breyer dite Lady Jaye en un être pandrogyne.
Dans un dialogue très riche avec Nadège Piton, SMITH évoque son évolution progressive dans le monde trans, les lieux et les rencontres le jalonnant : « Ce que nous disions à propos des frontières poreuses dans le milieu queer, entre pratiques festives et création, réflexion théorique et trajectoires intimes, fut tout à fait juste dans mon cas : c’est en fréquentant des lieux et événements transpédégouines dès les années 2000 (notamment la boîte de nuit Le Pulp et plus tard La Java, les librairies Les Mots à la Bouche et Violette &co, ou des bars comme le Kubi, le Politburo ou les Souffleurs) que j’ai découvert, sur les murs, des expositions de photographes comme Kael T. Block, Amos Mac, Emilie Jouvet ou Yvette Neliaz (Dame Pipi), murs entre lesquels Judith Butler pouvait venir présenter ses ouvrages en même temps qu’y étaient distribués des fanzines comme Housewife ou Kutt, que performaient des musicien.ne.s radicalement engagé.e.s et que se préparaient des marches et manifestations. Cette culture, considérée alors comme sous-culture, et dont se pose aujourd’hui crucialement la question de l’archive à l’échelle internationale, ne pouvait être acquise que dans ces lieux sanctuarisés – beaucoup plus rarement au sein des universités ou des écoles nationales comme celles que je fréquentais. »
Autre histoire de l’art avec Marcel Bascoulard, figure marginale de la ville de Bourges (décédé en 1978), « clochard hirsute » s’habillant en femme.

Portraits d’icônes du milieu clubbing et militants de New York par le Mexicain Gabriel Garcia Roman.
Mise en scène par l’artiste queer canadien Kent Monkman de son alter ego bispirituel dans une réflexion menée sur son passé algonquien et la colonisation.
Les artistes non-binaires n’ont pas de frontières, ils sont de l’île Maurice (Kama La Mackerel), d’un axe intime Roubaix-Marseille (Sailor De la Jaquette), du Canada (Laurence Philomène, Cassils), des îles Samoa (Dan Taulapapa), des Etats-Unis (Zackary Drucker, Ron Athey, Parker Day), Taïwan (Shu Lea Cheang).
Recherche d’un corps révolutionnaire par le philosophe Paul B. Preciado : « La première photographie que je vis d’une personne trans était dans une revue pornographique en couleur des années 1980, que mes cousins avaient dénichée. Au milieu d’images de sexualité cis-hétéro quelconque se trouvait une photo en noir et blanc d’un corps trans nu, mis en scène comme une statue, dans un style totalement différent des autres images. Cette image m’avait sidéré. C’est drôle quand j’y pense : aucune image de cette sexualité hétéro n’avait eu sur moi le moindre effet, mais l’image de cette personne trans est restée très importante pour moi. Ensuite, je n’ai pas de souvenir d’images photographiques marquantes, jusqu’au moment où j’ai vu pour la première fois une photographie de Del LaGrace Volcano. »

On le comprend, on le voit, il faut absolument se procurer ce numéro Transgalactique, c’est une mine d’or.
Pour terminer, voici un slogan révolutionnaire, de Kandis Capri : « Black Trans Lives Matter ».
A vous de jouer.
The Eyes #11, Transgalactique, carte blanche à Nadège Piton et SMITH, personnalités invitées Paul B. Preciado, Elisabeth Lebovici, Lalla Kowska-Régnier, directeur.directrice de a publication Véronique Prugnaud & Vincent Marcilhacy, rédactrice et conseillère en cotenu Taous Dahmani, directrice artistique et design Sarah Boris Studio, coordination éditoriale Diane Kreienbühl, The Eyes Publishing, 2020, 240 pages