
Archive conservée au Musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône, Un village, de Madeleine de Sinéty, est un document exceptionnel sur la vie rurale observée à partir du village de Poilley (Ille-et-Vilaine), photographié au mitan des années 1970, alors que sa physionomie générale commençait à se modifier considérablement.
Des talus à abattre, des fermes qui disparaissent, la montée en puissance de l’agrobusiness.
« Je suis arrivé à Poilley il y a vingt ans, tout à fait par hasard, témoigne la nouvelle venue. J’habitais Paris et ne connaissais rien de la campagne. J’avais pourtant passé la plupart des étés de mon enfance à Valmer, le château Renaissance de mon arrière-grand-mère, dans la vallée de la Loire. »

Ce village à peu près perdu, soudé par les rites et les traditions, Madeleine de Sinéty a décidé de le photographier, des milliers de fois – « 33280 diapositives couleur, 23 076 négatifs noir et blanc », précise Jérôme Sother, éditeur – corpus faisant aujourd’hui l’objet d’une exposition (Guingamp, Chalon-sur-Saône, Musée de Bretagne à Rennes) et d’une monographie extrêmement touchante, bénéficiant d’une très belle qualité d’impression, notamment dans le traitement des couleurs.
En exergue, cette phrase de Pierre Guyotat : « Ces photographies, c’est le monde tel qu’il est. »
Oui, le monde tel qu’il est, celui des hommes et femmes pailles-fagots-boue-sabots.
Celui des hommes liges et des talus en transe (Paol Keineg).

Celui des ventes de chevaux et du jour du cochon à tuer.
Celui des rassemblements agricoles et des verres de gnole.
De la terre retournée et des volailles en liberté.
Des enfants en bande bousculant les animaux et des herbes grasses.
Des blés, des fourches, des vêlages.

Les tracteurs ne sont pas des monstres sur roues ou des usines sur pattes, mais des engins mécaniques à bricoler sentant la graisse et la sueur.
Madeleine de Sinéty photographie la vie quotidienne en ethnographe sauvage, avec passion, tendresse, ardeur.
Les parties de football et de rivière, les bagarres, les mariages.
Des salopettes, des tableaux noirs, des bonnes sœurs.
Les longs cheveux dénoués d’une vieille dame.
Les monticules de pommes.
L’heure de la flambée.
L’heure de l’équarrissage sur la table de la cuisine.

On se lave à la bassine, on vit ensemble, la télé est encore un gros œil un peu myope.
Rythme des naissances, de la lecture du journal local, du passage du facteur.
Un fest-noz, un rock, des habits du dimanche.
Repiquer les betteraves.
Boire du lait du jument.
Etendre le fumier.
Fagoter.
Soigner les vaches.
Châtrer le cochon.
Le jeudi 18 septembre 1975, Madeleine de Sinéty note dans son carnet : « Le père Gus me dit : « Mon grand-père est né en 1821. Je l’ai bien connu puisqu’il est mort à quatre-vingt-huit ans – en 1909, Auguste avait alors six ans. Il me racontait qu’à la Révolution de 1848 il s’était caché avec d’autres jeunes dans les bois autour de Billé pendant plusieurs semaines. » Les gendarmes les couraient pour les mobiliser. Y se sont cachés dans les landes d’Izé, près de Liffré. »
La révolution de 1848 !
A quand la prochaine ?
Les loups ont toujours mauvaise réputation.
Un village est un livre de mémoire, pour préparer l’avenir.
Madeleine de Sinéty, Un village, direction artistique Jérôme Sother et Peter Behrman de Sinéty, Editions GwinZegal, 2020