Ben Shahn
De la même manière qu’il me plaît de regarder régulièrement des précis de littérature, j’aime me replonger fréquemment dans l’histoire de la photographie.
Pour me souvenir ou ne pas oublier, pour apprendre, pour m’étonner de nouveau, pour décaler mon regard, pour enrichir mes points de vue, pour réfléchir aux ruptures et continuités, aux écoles, aux thématiques, aux genres.
Pour accrocher ma pensée à des noms, et les laisser me tirer vers eux par le câble de leurs visions.
Une histoire de la photographie pour tous, de Ian Jeffrey et Max Kozloff, publié chez Hazan, est de ces livres clairs et foisonnants qui sont des guides vivants et d’érudition partageuse.
Des doubles pages par auteur, une ou deux œuvres – très bien reproduites -, des sortes de fiches pour débutants et amateurs d’art.
La liste est prestigieuse (Talbot, Le Gray, Margaret Cameron, Lartigue…), mais je m’attacherai à la présence de quelques auteurs peut-être moins connus.
De Paul Géniaux (1873-1929) par exemple, ce précurseur d’Eugène Atget, dont est montrée une photographie de clochards à une terrasse de café, place Maubert à Paris, prise vers 1900.
Josef Sudek
De la New-Yorkaise Doris Ulmann (1882-1934) qui photographia le Sud dans une perspective de recueil des traditions populaires, notamment musicales : « Doris Ulmann avait le don, est-il ici écrit, d’amener les gens à se mettre en scène, qu’il s’agisse de jeunes gens ou de vénérables anciens. Ses sujets se faisaient les complices et les acteurs d’un drame, les âges de l’Homme. » Ses témoins s’amusent, le bonheur est possible.
Du Russe Arkadi Chaïkhet (1898-1959), apprécié par le régime pour la « simplicité » de ses reportages de photographe prolétaire, privilégiant la lisibilité des scènes aux abstractions à la Rodtchenko.
De son compatriote Boris Ignatovitch (1899-1976) : « C’était un romantique, incapable de réprimer son tempérament. Il revendiquait sa probité politique, ce qui suffisait peut-être à abuser des autorités au sens esthétique peu aiguisé. Son penchant, certainement dans le droit fil de la tendance industrielle de l’URSS, le poussait au sublime, à une iconographie de labyrinthes et d’enfers qu’il trouvait dans des sites approuvés par les officiels, comme des dépôts de bois et des filatures de coton. Les sens cachés et les messages sous-jacents suggérés par Ignatovitch peuvent paraître incompatibles avec la culture photographique soviétique mais, en 1928, il était certainement conscient de la nécessité d’user de détours et de métaphores. »
Lewis Baltz
De l’Américain de Saint Paul (Minnesota) John Vachon (1914-1975), particulièrement novateur et libre : « Remarquable pour son époque, voire sans précédent, le point de vue de Vachon appartenait à une culture fantasmatique. Certes, il prit des photographies de la vie rurale du genre de celles qu’il avait archivées à Washington, mais il sut aussi montrer que, comme lui, les Américains avaient parfois d’autres rêves en tête. »
Et les nus d’Edward Weston (voir sa Cuvette de 1925, si érotique) et de Bill Brandt (1904-1983), les portraits de Margaret Bourke-White (1904-1971), d’August Sander (1876-1964) et Walker Evans (1903-1975), le Champignon vénéneux (1928) de Paul Strand, l’espièglerie de Manuel Alvarez Bravo (1902-2002), les lumières divines du mystérieux Josef Sudek (1896-1976), la poétique du fugace de René-Jacques (1908-2003), l’univers forain vu de Marcel Bovis (1904-1997), la vie populaire selon Dorothy Bohm (née en 1924), la fête chez Ed van der Elsken (1925-1990), l’art de la chaise chez Candida Höfer (née en 1944)…
Allez, avouez, vous ne les connaissez pas tous, ni toutes.
René-Jacques
Un petit détour par Une histoire de la photographie pour tous s’imposerait-il ?
Ian Jeffrey, Une histoire de la photographie pour tous, textes Ian Jeffrey et Max Kozloff, Hazan, 2021, 380 pages – 500 illustrations
Candida Höfer