Grotte Chauvet
« La caverne est un ciel, une nuit éternelle qui est aussi un autre jour, ce pourquoi ici comme à Lascaux, comme à Altamira ou à Rouffignac, des rondes divines de bisons, d’aurochs ou de mammouths continuent de tournoyer au-dessus de nos têtes, animaux planétaires ou galactiques peuplant des plafonds taillés dans le roc qui sont les parfaites répliques de ce que l’on nomme si justement ‘voûte céleste’. » (Jean-Jacques Salgon)
Auteur notamment de Le Roi des Zoulous (2008) et Obock, Rimbaud et Solleilet en Afrique (2018), Jean-Jacques Salgon est indéniablement écrivain, mais il doit être un peu plus encore, sorte de messager béni des dieux de la préhistoire pour avoir eu la chance de pénétrer dans deux lieux historiques très protégés, en août 2004 dans la grotte Chauvet en Ardèche, et en février 2020 dans la grotte de Baume Latrone dans le Gard.
Deux grottes ornées de peintures pariétales datant du Paléolithique supérieur, deux joyaux où les lions, les bisons, les chevaux de Przewalski, et les mammouths forment une parade sauvage, dont il n’est pas certain qu’elle soit tout à fait achevée.
Ils se poursuivent, se battent et se mesurent toujours pour préserver encore la première nuit de l’humanité, dans une ronde de dévoration paraissant sans fin.
Des graffs dans la nuit, publié chez Arléa, est le récit de cette double confrontation avec des œuvres aurignaciennes exécutées à hauteur d’homme et préservant encore leurs mystères, comme il en est de celles de Gustave Courbet – face au Grand Panneau des Lions, Jean-Jacques Salgon tente un rapprochement avec Un enterrement à Ornans – et de Judit Reigl (1923-2020), à qui Marcelin Pleynet avait rendu hommage en 2001 dans une très belle monographie chez Adam Biro.
Visiter la grotte avec son inventeur, Jean-Marie Chauvet, n’est-ce pas incroyable ? Sa découverte ne date que de 1994, mais on a l’impression de la connaître depuis toujours.
L’écrivain note ses sensations, les lumières dansant sur les parois, les traces des ours, l’abstraction des formes, et les animaux figurés, lions, rhinocéros, mammouths, panthères : « Il faut imaginer ces tribus humaines clairsemées venues à la conquête de ce monde froid et hostile, avec pour seuls avantages, le feu, la parole, la sagaie. Il faut imaginer la solitude transie, farouche et libre de ces hommes, leur vaillance, les combats quotidiens qu’ils étaient obligés de mener pour survivre. »
Qui sont les plus présents, des humains regardant émerveillés ce qu’ils ne peuvent tout à fait comprendre, ou des animaux formant cortège ?
Où se trouve vraiment l’origine du monde ?
Grotte Baume Latrone
Prolongeant les intuitions de Pierre Péju et de John Berger, Jean-Jacques Salgon envisage « l’acte de peindre des bêtes » comme un hommage par des artistes comprenant qu’ils sont en train de s’en dissocier irrémédiablement, à l’instar du révolutionnaire Courbet restant attaché à son village natal, aux traditions rurales, alors que le nouveau monde, socialiste, l’appelle intimement.
Face aux animaux stylisés, presque abstraits de la grotte de Baume Latrone, située au-dessus du Gardon, l’auteur de Parade sauvage (Verdier, 2016) pense aux signes et oiseaux « très gestuels » peints par son amie Judit Reigl à l’éponge et à l’encre de Chine en 2010, achevant ainsi, superbement, son livre de mystère : « Maintenant que Judit Reigl nous a quittés, je songe avec émotion à mes visites dans son atelier. Depuis 1972, date de notre première rencontre, il ne se passa pas une année sans que je ne lui rendisse visite. Escalader l’échelle meunière qui conduisait à son atelier, c’était emprunter l’échelle de Jacob pour me retrouver au Paradis. Entourés des sublimes toiles qu’elle avait disposées tout autour de l’atelier en prévision de ma visite, nous étions comme deux adolescents engagés dans une palpitante aventure. Nous parlions art, science, littérature, et notre conversation était sans nuages. Rien ne pourra jamais remplacer les moments précieux que j’ai passés en sa compagnie ; son immense culture, tant visuelle que littéraire, sa générosité, demeureront à jamais pour moi comme un soleil illuminant le monde. Dans le regard des lions de Chauvet, Judit Reigl reconnaissait celui des trois porteurs de croix de la célèbre fresque de Piero della Francesca d’Arezzo, et elle seule était en mesure d’accomplir de tels rapprochements. »
Jean-Jacques Salgon, Des graffs dans la nuit, De la grotte Chauvet à Judit Reigl, Arléa, collection « La rencontre » (dirigée par Anne Bourguignon), 2021, 88 pages