©Noemi Pujol
Parages est un très beau titre pour désigner la façon dont Noémi Pujol pose son corps et son regard sur le monde, avec beaucoup de tact et de douceur grave.
Il faut peut-être au paradis des palissades, ou à tout le moins une poétique de l’écart, de la distance noble, une précaution dans l’approche de ce qui ouvre au divin bien.
Il y a chez Noémi Pujol quelque chose d’un effleurement, d’une caresse furtive, celle du Pickpocket de Robert Bresson, précise et animée d’un feu intérieur.
©Noemi Pujol
L’appareil photographique est un ange observant les humains, les objets, les jeux de lumière, comme s’ils étaient à la fois ici et ailleurs, en vie et déjà disparus.
A chaque battement d’aile, à chaque clignotement d’yeux, correspond la révélation d’un fragment de réalité, d’une scène, d’un tableau, d’une possibilité d’existence pleine, irréductible, unique.
La puissance de chaque vue, pourtant précaire, comme provenant d’un sténopé, se soutient de la solidité d’un silence créant autour de lui le vide favorable à la venue d’un inouï.
©Noemi Pujol
C’est un ensemble de lignes dialoguant dans le noir, un arbre frémissant comme une poussée de feu, une toiture de tuiles, un mystère de concordance.
L’impression générale est d’une photographie au fusain, d’un dessin se posant dans l’objectif de l’opérateur vagabond, d’une attente eschatologique.
Dans le démonde, il reste encore des granges, des arbres mal aimés grandis dans des terrains ingrats, des silhouettes de promeneurs philosophes conscients que l’apocalypse a lieu à chaque instant.
©Noemi Pujol
Il reste des enfants à demi-nus marchant dans des royaumes d’ombres, sous la protection de hautes propriétés familiales, belles et austères.
Des brouettes remplies de feuilles, des chênes centenaires, des tas de cailloux.
Se souvenant peut-être de La Jetée de Chris Marker, Parages construit une dramaturgie de film expérimental s’inventant à la lisière du visible et de l’invisible.
Des géants portuaires, des ciels tourmentés, un homme marchant sous la pluie, le manteau relevé sur la tête, comme autrefois la mage Giacometti.
©Noemi Pujol
Rien de grandiloquent, mais le grandiose de ce qui est lorsque l’on est attentif aux signes les plus ténus, aux gestes, aux mains jetées dans l’air.
Une bière, une prière, un escalier de fer forgé.
Tbilissi et Le Havre, Nîmes et Séville, Istanbul et la Dordogne : le particulier ne vaut ici chaque fois que pour sa part d’universel, parce que le baiser des amants de Paris est aussi celui des amoureux clandestins de Porto.
©Noemi Pujol
Noemi Pujol nous offre des poignées de porte et des couvre-lits vieillots, des poteaux électriques et des murs de briques, comme s’il n’y avait rien de plus beau – ce qui est le cas.
On est en paix dans ses images, parce que l’on pressent qu’elles en savent bien plus long que nous sur la nature de notre destin.
Noémi Pujol, Parages, texte par Pascal Letellier, conception graphique Jérémie Le Maoût, Arnaud Bizalion Editeur, 2021