Cheyreen ©Yohanne Lamoulère / Tendance Floue
Photographe vivant dans les quartiers Nord de Marseille, Yohanne Lamoulère témoigne par son travail au long cours de la mutation d’une ville dont le passé populaire est devenu un argument publicitaire pour les promoteurs immobiliers vendant du rêve de fraternité sur les décombres de l’Etat social.
Fait de partages, de rencontres confiantes avec les habitants, véritables co-auteurs de ses œuvres, son art n’est surtout pas de capture stricte ou de prédation, mais se nourrit d’un processus constant de don/contre-don.
Yohanne Lamoulère photographie une ville blessée, meurtrie, balafrée, avilie, se dépêchant d’effacer son passé à coups de pelleteuses mécaniques et de destructions rentables programmées.
Irma ©Yohanne Lamoulère / Tendance Floue
En son fanzine de grand format autopublié, Virage, d’une puissance formelle immédiate – nuances de noirs et de gris, montage à la limite du surréalisme, impression de vie palpitante et inquiète -, l’artiste au Rolleiflex n’explique rien, ne bavarde pas, mais montre des destins, de femmes, d’hommes, d’enfants et de pierres, de ruines et de métamorphoses.
Des textes anonymisés imprimés verticalement racontent le quotidien des habitants, les rêves, les désespoirs, les luttes.
Il y a quelque chose dans Virage d’une Méditerranée de sacrifice, où la rue est aussi l’espace d’une scène ultime, d’un cri profond, d’une déchirure.
Karime – Fayssoil ©Yohanne Lamoulère / Tendance Floue
Refus du paraître, refus de la falsification d’une réalité masquée par les détenteurs du pouvoir, refus de l’amnésie, et solidarité inconditionnelle avec les plus vulnérables comme les plus indociles, si vivants quand tout s’éteint et meurt dans l’asphyxie de la pensée calculante.
Il y a un taureau dans l’arène de la cité, si seul, mais attention, l’animal l’emporte parfois sur les virtuoses de la guerre contre le peuple.
Des barbelés, des masques de carnaval, des caméras de surveillance, les gravats d’un chantier, des tatouages, des tags, des paroles.
Yasmine – Yohanne ©Yohanne Lamoulère / Tendance Floue
« Notre père est rempli de colère. / L’exil c’est une chance. / Mais pas pour lui. / Mes parents sont morts émotionnellement. / On a souffert en Irak. / En Syrie, c’est mes plus beaux souvenirs. / Vous pensez que les gens sont fermés mais les femmes sont dehors et fument leurs chichas. »
Le Coran, un chat assoupi, des survêts, c’est le Nord de Marseille, c’est la prison des Baumettes, et les Gitans qu’on encage sont les premiers des derniers vrais Européens.
Maison Blanche ©Yohanne Lamoulère / Tendance Floue
La vie éparpillée façon puzzle ? Oui, ici sous le soleil, et dans tous les quartiers populaires de France.
Virage, à peine signé du nom de son auteure, est une main tendue, un poing fermé, une rage lucide.
Yohanne Lamoulère, Virage, 2020, 36 pages – 450 exemplaires (prix libre), 50 exemplaires avec tirage de tête numérotés et signés
Turin ©Yohanne Lamoulère / Tendance Floue
Exposition au ZEF, scène nationale de Marseille – du 15 septembre au 31 octobre 2021
Frontière ©Yohanne Lamoulère / Tendance Floue