D’une écologie des images, et des objets du monde, par Corentine Le Mestre, Barthélemy Péron et Fanch Dodeur, entre art et science  

©Corentine Le Mestre

Dans la collection Carnet de recherche, les éditions Paris-Brest Publishing (Grégory Valton, Nantes) font paraître en ce printemps les ouvrages à reliure spiralée S’extraire du sol, S’abstraire du sujet, de Corentine Le Mestre (couverture orangée rose) et 1000, du duo Barthélemy Péron et Fanch Dodeur (couverture noire).

S’extraire du sol, S’abstraire du sujet, est une réflexion visuelle sur l’agave, plante originaire d’Amérique latine arrivée en Europe au mitan du XVIe siècle.

©Corentine Le Mestre

Lors de sa résidence à la Casa de Velazquez (Madrid), Corentine Le Mestre, membre des ateliers MilleFeuilles à Nantes, s’est intéressée à cette plante exotique en plongeant notamment dans les archives du Real Jardin Botanico de Madrid et de la collection numérisée du Smithsonian National Museum of Natural History de Washington.  

Colligeant des images de natures différentes, allant de l’herbier à la carte postale, du tableau scientifique à la maquette en construction, l’artiste a bâti une séquence visuelle à partir de ce symbole des vacances et du soleil, mais aussi de l’âpreté du vivant (voir son apparition dans le dernier livre de Gabrielle Duplantier, Sète #22).

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Ce végétal légèrement ironique – on peut penser à l’autoportrait au palmier de Willy Ronis – ouvre sa couronne de chef indien sur des sols arides dont elle dessine les ombres.

Il y a dans les récurrences visuelles des vues choisies de légers décalages, comme un système musical reposant sur un jeu de variations formelles très fines.

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S’extraire du sol, S’abstraire du sujet donne ainsi à voir – les mains de l’artiste au travail sont montrées – un cahier de recherche où l’agave en sa solennité princière est le point d’appui d’une méditation sur la dérive iconographique et les fascinations qu’elle entraîne.

1000 quant à lui est un objet visuel aussi étrange qu’inspirant, évoquant la collecte quotidienne des mille objets durant les trois années de Geocyclab le long d’une ligne de 18905 kilomètres.

« A la genèse du périple de Barthélemy Péron et Fanch Dodeur, est-il précisé en introduction par l’historienne de l’art Eva Prouteau, des préceptes simples : voyager et travailler en même temps / penser un atelier mobile en vélo, autour du monde, pendant trois ans / partir de Quimper, revenir à Quimper / faire des captations visuelles et sonores / des installations / des interviews / effectuer le prélèvement d’un objet par jour de voyage, avec les données relatives à cet objet, ses coordonnées GPS, son poids, sa taille, sa couleur. »

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Le périple ne fut pas sans heurts, obligeant le duo à improviser : contraintes administratives imprévues, intempéries, tensions géopolitiques.

Un voyage à vélo se raconte-t-il par les objets qui l’ont jalonné ? Oui, peut-être, mais il est surtout passionnant de faire le portrait de notre petite planète Terre et de son ère industrielle à partir de ses déchets ou productions abandonnées.   

Un inventaire est effectué, puis un cartel pour chaque objet doublé d’un portrait sonore réalisé au moment du prélèvement, l’ensemble des objets étant incorporé dans « une tour esthétiquement très proche d’un DATA CENTER », ceux-ci éclairés par des LED étant visibles par transparence.

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A partir de leur pratique de nomadisation, Fanch Dodeur et Barthélemy Péron ont construit une structure fascinante alliant le sable du désert et la haute scientificité.

« Si ce projet artistique questionne la mémoire, l’archivage numérique et l’esthétique du souvenir, poursuit Eva Prousteau dans son texte passionnant (il faudrait tout recopier), il n’occulte pas une forte dimension écologique et philosophique. Par la nature des objets qu’ils ont glanés Barthélémy Péron et Fanch Dodeur témoignent d’une forme d’impuissace à s’échapper de l’emprise de l’homme. La plupart des objets recueillis sont des artefacts dont la production et la diffusion s’originent en Occident, ce qui renvoie fatalement à certains processus de colonisation industrielle. »    

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L’art (la vie) comme compost, n’est-il pas une idée superbe ?

Nous sommes la vis et la petite cuiller en bois, l’hameçon et le ressort, le tube de glu écrasé et le bras en plastique, le bout de brosse à dents et le caillou vert.

Ouvrage inattendu, 1000 lève l’enthousiasme par son intelligence et sa beauté formelle.

Corentine Le Mestre, S’extraire du sol, S’abstraire du sujet, texte d’Antoine Bertron, archives Josep Planas, Jardin Botanique de Madrid et NMNH (Musée National d’Histoire Naturelle des Etats-Unis), Paris-Brest, 2022, 46 pages – 170 exemplaires

https://corentinelemestre.wixsite.com/corentinelemestre

Barhélemy Péron et Fanch Dodeur, 1000, images ExSitu, Erwann Babin, textes Eva Prouteau et Bastien Masse, Paris-Brest Publishing, 2022 – 220 exemplaires

https://exsitu.xyz/home

http://www.paris-brest.eu/

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