
©Romain Urhausen
Il se pourrait que l’année 2022 soit celle de la reconnaissance par le plus grand public de l’œuvre de l’artiste aux multiples talents Romain Urhausen (1930-2021), exposé à Arles et sujet d’une monographie publiée par Delpire & co.
Son activité photographique se déploie essentiellement durant deux décennies (1950-1970), aussi bien du côté du portrait, de la street photography, que des expérimentations formelles.

©Romain Urhausen
Jacques Prévert a préfacé son livre Les Halles, mais qui s’en souvient vraiment aujourd’hui ?
Il nous faut des jalons, des repères, des ouvrages auxquels accrocher notre pensée.
Telle est l’ambition de la monographie – elle manquait – que nous découvrons aujourd’hui.
Il y a dans les photographies de Romain Urhausen, ancrées dans la réalité pour n’en pas manquer la part de surréalité ordinaire, une douce ironie.

©Romain Urhausen
On le classe du côté du courant de la photographie subjective, qui est au fond le médium considéré comme instrument d’exploration de la psyché au contact de ce qui la fait trembler ou fascine.
« La photographie subjective selon Steinert [qui fut le professeur à Sarrebruck de Romain Urhausen], rappelle Paul di Felice, se voulait une nouvelle esthétique photographique, une façon anticonformiste de regarder le monde, un langage marqué par le noir et blanc, des tirages très contrastés, des cadrages radicaux et parfois des situations surréalistes. »
Attentif à la géométrisation des rapports entre les êtres et le monde, entre le corps et l’espace, le photographe luxembourgeois produit une photographie vivante, héritière de Brassaï et de Cartier-Bresson.

©Romain Urhausen
Il observe comme son compatriote Yvon Lambert le monde de l’industrie sidérurgique, ses travailleurs, ses gerbes de feu, thématique articulant les deux parties du livre : le quotidien, la rue, la ville, et les recherches formelles (solarisations, luminogrammes, photogrammes…).
Romain Urhausen ne cherche pas à documenter mais à produire une vision donnant accès aux points saillants d’une modernité bousculant toute stabilité.
Les lettres sont de guingois, les couples titubent, l’ivresse fait chavirer les regards, les têtes de porc (image qu’on aurait pu trouver dans la revue Documents) hument la présence fantomatique de leur spectateur.

©Romain Urhausen
La nuit remue, mais aussi la chevelure des belles dans la rue, les jambes aiguilles des prostituées, les visages des gamins habillés à l’anglaise.
Il a plu, tout glisse, on retire ses chaussures, un mendiant joue de l’accordéon assis sur un trottoir, béquille étalée le long du caniveau.
L’ouvrage se termine par un autoportrait déformé.
Explicité, étudié, décortiqué, Romain Urhausen reste pourtant une énigme, comme les plus grands artistes.

Monographie Romain Urhausen, textes de Paul di Felice et Carolin Förster, directeur Julien Frydman, directeur éditorial Stuart Alexander, directeur artistique Grégoire Pujade-Lauraine, Delpire & co, 2022, 116 pages
https://delpireandco.com/produit/romain-urhausen/

Ouvrage publié à l’occasion de l’exposition Romain Urhausen, en son temps, présenté lors de la 53e édition des Rencontres d’Arles 2022

https://www.leslibraires.fr/livre/20638167-romain-urhausen-romain-urhausen-delpire-editeur
J’admire vraiment tout ce que vous faites pour nous dévoiler des trésors. Et votre plume, délicate et cruelle à la fois.
Merci !
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