
©Olivier Deck
« J’écris au gré des sentiments qu’éveille en moi la guitare flamenca, et particulièrement celle de Rafael Riqueni. J’écris au fil des humeurs, pensées et fantaisies, des rencontres, à ma guise, dans ce temps à part et au cœur du temps qu’est le temps de l’écriture. »
Rafael Riqueni est un génie du flamenco, aussi bien comme compositeur que comme guitariste.
Son ami Olivier Deck lui rend hommage, en texte (un ample essai biographique) et photographie (noir & blanc argentique) dans un livre intitulé Rafael Riqueni. Une guitare de cristal, publié par les Editions Contrejour (Claude Nori).

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« Si Rafael Riqueni était un édifice, il serait cela, un palais de cristal. Fêlé, comme prêt à s’effondrer, mais qui tient encore sur ses remparts par le miracle de la musique. »
Le flamenco ? liberté, errance, cri, risque.
Emotion, obsession, transe.
Peur, chant, fête, désastre.

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Son ambassadeur mondial fut Paco de Lucia, ses transmetteurs aujourd’hui Rafael Riqueni et Olivier Deck, dont le texte-chant doit autant à l’improvisation qu’à l’orchestration savante.
Jouer du flamenco, précise-t-il, n’est pas jouer flamenco, toute la nuance est là.
Vivant à Séville où il est né en 1962, dans une institution prenant soin de sa santé psychique (les paradis artificiels sont parfois jonchés de fleurs carnivores, et la Movida ne fut pas qu’une force de libération), Rafael Riqueni vit quand il joue. Le reste du temps, comme tout un chacun, c’est l’existence somnambulique et l’exil.

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Il peut jouer son répertoire en soliste, pendant des heures, sous les acclamations et la stupéfaction du public.
Nourri de musique classique, héritier de l’œuvre d’Albéniz, Riqueni conçoit son art comme un geste d’incandescence, un foudroiement, une illumination.
« Le flamenco, précise Olivier Deck, ne déboule pas de l’extérieur comme une ornementation, un agrément de l’existence. Il ne tombe pas sur l’être, il monte du dedans, du tréfonds. Il bat au secret de la vie, au cœur des choses, au cœur du cœur. Il appartient à tous, c’est un Bien commun. »

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Il faut aller chercher à la source le chant premier, primitif, sauvage.
Sensible à la pensée extrême-orientale, Olivier Deck évoque, pour définir la spécificité du flamenco, la notion de Ki, énergie traversant toutes choses depuis un foyer atemporel, éternel, immortel.
Travaillant avec la fluidité du Leica (objectif 40mm), sa rapidité, sa manière d’accompagner le corps dans l’espace, Olivier Deck se rend compte qu’au contact de Riqueni s’opère en lui une métamorphose, un rapport différent à la musique, nourri de silence et, le mot paraîtra grandiloquent mais il est juste, de vibration d’âme.

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Il photographie un homme calme, concentré, entré dans la confiance d’une relation ne l’obligeant pas à poser.
Partitions, cigarettes, cafés.
Festina lente, hâte-toi lentement.
De la même façon que Riqueni construit avec la danseuse Rocio Molina, « princesse de l’avant-garde », un duo danse-guitare, le photographe français invente un duo Leica-guitare – la bichromie de son livre témoigne supermement de cette conversation intime.

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A partir de 1996 et de l’enregistrement de l’album Alcazar de cristal, effectué au bord du gouffre, le guitariste va disparaître pendant presque vingt ans, happé par l’abîme qui ne cesse de l’appeler – l’ange Francisco Bech, manager, ami, frère, le sauvera.
Olivier Deck de citer alors ce mot superbe du poète Bernard Manciet : « La résurrection précède l’existence. »
Rafael Riqueni, c’est certain, a effectué une catabase, il est désormais revenu du pays des Ombres, et de la prison où, rattrapé par ses années madrilènes, il a dû accomplir une peine de deux ans.

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Depuis sa remontée des Enfers, « il continue de chercher, chaque jour, du matin au soir, comme un explorateur de contrées inconnues, qui toujours fouille les marges, les passages à travers les frontières. Tous ses enregistrements comportent des compositions libres, sortent du cadre traditionnel, abandonnent le compas, voyagent sur l’harmonie… Ce sont des explorations, des tentatives, des digressions, des divagations qui en tant que telles sont le plus souvent rapprochées de la guitare classique ou contemporaine, mais lui, il n’est jamais autre chose qu’un flamenco, il appartient à une famille, un souffle, une religion au sens premier de ce qui crée le lien entre son âme, son corps et la vie. »
Comment exprimer l’inexprimable ? s’interroge Olivier Deck.
Comment chuter sans tomber ?
Comment être léger sans masquer la fragilité ?

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En fin de volume, l’artiste français offre en quelques images son portrait de Séville, qu’il nomme cité-muse, rappelant ainsi sa passion andalouse (un livre magistral est à venir chez Contrejour) qu’il « photopoétise », à l’instar de Paul Strand regardant le village italien de Luzzara.
Comme chez Tanizaki, savoir considérer les ombres est signe de haute civilisation.
« De la belle, écrit-il érotiquement, je veux sentir le souffle quand elle dort, son ennui, son silence, ses plus intimes frémissements. Ses cicatrices sur les murs, sa fragilité, ses beautés discrètes. Je veux me sentir en elle et la sentir en moi. »
Voici donc Séville, secrète, mystérieuse, pieuse, moderne, inconnue, virile et féminine, féminivirile, antique et même préhistorique.
Un oiseau blanc traverse l’image en allant vers le passé, rien n’est pourtant plus juste et présent que ce vol de puissance et de grâce dans la sainte et gitane cité andalouse.

Olivier Deck, Rafael Riqueni. Une guitare de cristal, conception graphique Isabelle Nori, Editions Contrejour, 2022, 160 pages
https://www.editions-contrejour.com/project/rafael-riqueni-une-guitare-de-cristal/

©Olivier Deck
Ouvrage soutenu par le Festival International Arte Flamenco de Mont-de-Marsan
Exposition éponyme du 27 juin au 2 juillet 2022 au Centre d’art contemporain Raymond Farbos
