Migrations, monde commun, par Mathieu Pernot, photographe

Mathieu Pernot, Série Feu de camp, Mória, Lesbos (Grèce), 2020 © Mathieu Pernot / Éditions Textuel / Mucem

« L’étude des constellations célestes a permis aux humains de s’orienter, notamment au cours de leurs voyages passés, et les différents corps présents dans l’univers sont eux-mêmes animés d’un mouvement perpétuel. L’astronomie arabe a réalisé de grandes avancées scientifiques dans la compréhension que l’on avait de l’univers, ce dont témoignent de magnifiques manuscrits. Lorsque l’ai rencontré Ali, astronome syrien d’origine d’Alep, j’ai compris que l’atlas devait commence r par des représentations du ciel et l’évocation de son histoire. » (Mathieu Pernot)

Les hommes migrent, mais aussi les plantes, les oiseaux, les cultures, les astres, les images.

Tout est poreux, en déplacement, en transformation.

Regroupant des travaux menés depuis plus de dix ans au contact de populations en exil, L’Atlas en mouvement est un ouvrage de Mathieu Pernot – aussi une exposition au Mucem – pensant le monde commun, la polyphonie, l’unité du vivant en autant de thèmes juxtaposés et s’entrelaçant, l’astronomie, la botanique, l’anatomie, l’histoire de l’écriture, la question de l’habitat.

Les images sont en mouvement – on connaît les recherches d’Aby Warburg et Georges Didi-Huberman -, mais aussi les peuples et leurs univers, que l’on réside définitivement ou temporairement à Mossoul, Alep, Paris, Lesbos, Calais, et partout où les tensions géopolitiques et climatiques créent de l’intranquillité.

La précarité est constitutive de notre statut de petit d’homme, nous l’oublions souvent, comme nous ignorons ce que les biologistes appellent la néoténie.

Mathieu Pernot, Série Les Oliviers, camp de Mória, Lesbos (Grèce), 2020 © Mathieu Pernot / Éditions Textuel / Mucem


L’Atlas en mouvement est un livre se déclinant en onze chapitres, comme autant de stations dans la compréhension du partage d’une mémoire commune, conscientisée ou non : Sous les étoiles / Dans la nature / Autour du feu / Débris de vie / Des villes détruites / Devoir partir / Prendre la mer / Eprouver son corps / Avoir un toit / Arriver quelque part / Raconter son histoire.

Tout commence par une position, des cartes du ciel arabes, une façon de situer notre planète Terre, infime finalement, dans le grand concert des astres et des points de lumière trouant le firmament.

Des planches botaniques, puis des vues des dénommées « Jungle de Calais », puis, reliant les deux, une série sur les oliviers martyrisés du camp de Moria (Lesbos).

On a traversé l’eau, le désert, on se réunit autour d’un feu, il fait froid en janvier sur une île grecque.

De désespoir, on peut chercher à brûler l’indignité que réserve l’Occident aux déracinés – captures d’écran d’une vidéo réalisée par des « migrants ».

Le sol est alors jonché de débris de vie, de cahiers, de dessins d’enfants et vêtements passés par le feu, comme une ordalie inversée.

 Que reste-t-il dans les portefeuilles et dans les blousons des peuples en errance ?

Des images issues d’albums de famille, le souvenir de moments heureux, musiques, parties de foot, repas traditionnels.

Série Ce qu’il se passe, 2020 © Mathieu Pernot / Éditions Textuel / Mucem

Les images se dégradent comme les villes se détruisent : les ruines s’accumulent, et nous sommes alors tous un immeuble effondré, une tête visée par un sniper, une jambe éclatée.

Il faut partir, construire un itinéraire, sauver sa peau, essayer de rêver un peu, avant de se confronter aux hurlements de la police des frontières, aux treillis militaires.

Prendre la mer, ne pas se noyer, se noyer.

Colligeant des documents de natures très divers – couvertures de cahiers d’écoliers, cartes marines, captures d’écran, images vernaculaires, photographies de l’artiste -, L’Atlas en mouvement déchire le cœur, parce que la bouée autour du cou de l’homme à la peau noire levant les bras, c’est nous ; parce que les amoncellements de gilets de sauvetage (pour la plupart inefficaces, vendus comme de vrais objets de secours à la misère captive par la cupidité meurtrière), c’est nous ; parce que l’empreinte d’une main sur un registre administratif, c’est nous ; parce que les corps torturés (dessins de Najah Albukaï – présentés dans L’Intervalle il y a quelques mois), c’est nous.

Parce que, posés sur des cartons, des tissus ou des bancs, les sacs de couchage dans les rues, c’est nous.

Parce que le Soudan, c’est aussi la France, et le Pakistan, et l’Irak, et l’Erythrée, et la Syrie.

On lutte, on court, on fuit.

Des balles, des clôtures, des regards assassins.

Des toits de fortune parmi les immondices.

L’humanité-déchet.


Extrait du récit écrit en dari par Mohammad Jawad Alizadeh en 2009-2010 à Paris © Mathieu Pernot / Éditions Textuel / Mucem

Et le fol espoir de reprendre vie, d’apprendre la langue de l’autre, de tenir dans l’invivable.

Comment dit-on « j’aime » en farsi, en tamoul, en arabe ?

Comment s’aime-t-on sans passer par la traduction ?

En fin de volume, des témoignages d’exilés disent le parcours, la violence, le désespoir, la lumière.

Mohammad Jawad Alizadeh : « Parfois je regrette de ne pas être un chien car en Europe, les chiens ont une plus belle vie que les étrangers comme nous. »

Malika : « Même si c’est un rêve modeste, au fil du temps, en regardant les années passées, vous comprendrez que cela en valait la peine. Que c’était votre réussite, votre bonus, votre récompense pour les mauvaises choses que vous avez laissées derrière vous. »

Patrick Boucheron : « On a posé quelque part le lourd fardeau du monde. »

Ce qui s’appelle le droit d’asile, mais aussi l’art.

Mathieu Pernot, L’Atlas en mouvement, textes et entretiens (français/anglais) de/avec Jean François Chougnet, Patrick Boucheron et Roland Recht, Editions Textuel / Mucem, 2022, 352 pages

https://www.mathieupernot.com/

https://www.editionstextuel.com/livre/latlas_en_mouvement

Exposition éponyme au Mucem dans le cadre du Grand Arles Express, du 8 juillet au 9 octobre 2022

https://www.mucem.org/programme/portes-ouvertes-de-lexposition-latlas-en-mouvement

Mathieu Pernot est représenté par la galerie Thierry Dupont (Paris)

http://www.eric-dupont.com/biography/id_46/Mathieu-Pernot

https://www.leslibraires.fr/livre/20517644-l-atlas-en-mouvement-mathieu-pernot-patrick-boucheron-roland-recht-textuel?affiliate=intervalle

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