
©SMITH / projet Desiderea nuncia
« La Desiderea nuncia rassemble les perspectives de plusieurs auteur.ices, de plusieurs savoirs et de plusieurs manières de matérialiser les phénomènes de la désidération. Ce terme mystérieux désigne le sentiment d’un manque indéterminé, résolument lié aux étoiles. Lorsque les marins d’autrefois, perdus en pleine mer les nuits de tempête, n’avaient plus les étoiles pour se diriger, la dé-sidération (le manque des étoiles et le souhait de leur retour) était alors pour eux une réalité. Notre désidération s’annonce comme le symptôme mélancolique de la perte du ciel étoilé (de-sidera), et se promet aussi comme un désir (desiderium) : désir face au désastre d’un monde sensible obscurci et d’un imaginaire cosmique atrophié. »
Il nous faut reprendre la marche à l’étoile, retrouver les chemins enfouis, quitter ce qui nous fascine pauvrement pour ce qui peut nous illuminer durablement.

©SMITH / projet Desiderea nuncia
SMITH est de ces chercheurs dont la quête inlassable, se situant aux points de jonction entre art et science, relève d’un espoir considérable de régénération, de retrouvailles avec ce qui nous fonde intimement, de réappropriation de nos pouvoirs perdus de guidance et d’omnivoyance.
Publié à Arles par Palais books, son ouvrage Desiderea Nuncia, composé avec Diplomates pour les architectures et les scénographies, et Lucien Raphmaj pour les textes, est une réflexion en images et textes de diverses natures témoignant de la richesse d’une pensée constellante.
Le trajet d’une comète traverse l’ensemble du livre – cinq chapitres comme autant de stases dynamiques présentées par une hôtesse virtuelle -, parce que l’enjeu est bien de nous transformer nous-mêmes en astres errants, et sachants, enfants de tous les savoirs appelés ici diagnose.

©SMITH / projet Desiderea nuncia
L’instinct n’est pas l’ennemi de la raison, mais son ordre supérieur.
Le Ciel peut nous apprendre la Terre, les logiques de séparation sont folles, nous devons abandonner les fausses identités pour le cœur battant des nécessités de l’univers.
Colligeant des points de vue relevant des champs de l’astrophysique, de l’histoire, de la narratologie, et des domaines artistiques (chant, danse, poésie, musique), Desiderea Nuncia est un geste de remerciement, envers les roches, la nuit la plus noire, le travail en commun de tous ceux qui aspirent à la réinvention des liens.
Nous regardons, mais nous sentons peu intérieurement, entravés par les émotions faciles, ou les aveuglements de servitude volontaire.
Il s’agit de retrouver un lieu là où un régnait un vide sans esprit.
« Les Moonbeds, est-il précisé, inventent ainsi à ces voyages immobiles, renouvelant le rite antique d’incubation par le rêve, où les pèlerins s’endormaient au sein des temples consacrés aux dieux guérisseurs, pour y recevoir en rêve le remède à leur mal. Ces lits lunaires, qui incorporent des fragments de météorites, accueillent les désidéré.es, les yeux mi-clos et la conscience active. »
On se rend dans un désert, on prie, on cherche des météorites, on est comme un chien, mais en moins bien.
On lève les yeux, on offre au vent sidéral nos poitrines, on envoie dinguer le pantin qui gesticule en nous.
L’endoscomologie (pneumatique 2) désignera alors l’échange de souffle, la communication profonde, entre les espaces du dedans des petits d’hommes égarés, et le vaste dehors.

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Changer de paradigme nécessite aussi de transformer nos systèmes représentatifs, notre façon de construire des lignes de sens, voire notre façon de lire.
Conférences, expériences, transmission.
Corps amoureux irrigué par les ruisseaux du ciel.
Le 26 août 2019, un nomade découvre en Libye une météorite chondritique de type L datant de 4,5 milliards d’années. Elle voyageait en orbite entre Mars et Jupiter.
4,5 milliards d’années.
Une poussière de temps.

©SMITH / projet Desiderea nuncia
Nous portons en nous des cicatrices d’étoiles (telle est la recherche nommée Astroblématique, lune 3), nous sommes blessés, mais potentiellement ouverts au-delà de nos tristesses de solitude.
Il y a sur la peau du sol des impacts d’astres, des cratères, des béances.
La vie intersidérale se trouve dans les bois, comme dans les champs, dans les villes comme dans nos points de nudité partagée entraînant des Mues (épiderme 4).
Nous nous rapprochons, nous retirons des pierres sur le dos de nos voisins, de nos proches.
Les images prolifèrent, aboutissant au rêve d’une totalité signifiante, d’un débordement.

Melancholia se précipite vers nous, mais tout va bien, puisque tu es là, toi, et toi, et toi.
On entend : « Etoile messagère venant pleurer sur notre terre en flammes, nous ouvrons les yeux sur toi. »
Patience dans l’errance, barque égyptienne, fleuve de visages concentrés et doux.
A chacun dès lors de faire ses exercices spirituels (véhicule 5), écosophiques et hypnagogiques.
La caméra thermique dessine des intensités de présence, nous sommes extra-terrestres-célestes.
Desiderea Nuncia est une ziggurat tournoyant sur elle-même, soleil d’or, soleil noir, préparant l’à-venir comme une pluie de météores couchés dans le désert de l’Arizona.

SMITH, Lucien Raphmaj, Diplomates, Desiderea Nuncia, design graphique Yann Linsart, Editions Palais books, 2021, 132 pages – 1100 exemplaires
https://www.librairiedupalais.fr/produit/palais-books/desiderea-nuncia/
Desiderea Nuncia a obtenu lors des Rencontres de la Photographie d’Arles 2022 le prix du livre Photo-Texte