
©Catherine Duverger
Je n’ai pas eu l’heur de voir l’exposition de Catherine Duverger s’achevant au Carré d’Art de Chartres de Bretagne (direction François Boucard) mais les deux manitous de Sur La Crête éditions (Jérôme Blin et Gaëtan Chevrier), toujours aussi sensibles, ont offert à la photographe plasticienne un carnet couturé de toute beauté – présenté sous cartonnage imprimé.
« Elle use, précisent ses éditeurs, du procédé de surimpression argentique au cours duquel se croisent et fusionnent deux images sur le même négatif. Elle relie par ce moyen document d’archives, images prises sur le vif et mises en scènes, qui se rencontrent avec l’incertitude propre à cette technique, traquant surprise, accidents et apparitions. »
De fait, nous sommes dans un territoire incertain, troublant, hanté, dirait Hugo Kostrzewa qui a écrit pour l’artiste un texte vibrant.
Que voit donc Catherine Duverger lorsqu’elle marche le long de la Seiche, « cette rivière tracée en méandres qui traverse l’Ille et Vilaine », que pollua en août 2017 l’usine de Reiters appartenant au numéro un mondial du lait, y déversant une quantité bien trop importante d’eau contaminée détruisant à grande échelle la faune et la flore ?

©Catherine Duverger
Tout est calme en apparence, le silence est probablement d’or, mais il est aussi mortel.
On est bien ici, près du Moulin de la Franceule, situé sur la commune d’Amanlis, et pourtant.
Des nuages de brume flottent sur l’onde légère, propices à l’apparition des dieux, mais peut-être les moins bénéfiques.
L’atmosphère est tarkovskienne, aussi renoirienne, comme une partie de campagne avant/après le drame.
Les images sont d’une grande beauté, d’une douceur déchirante.
Le vivant en a vu d’autres, mais il faut imaginer sur les rives des tonnes de poissons en décomposition.
Au sens propre, on ne voit rien, le paradis est devenu l’un des masques du diable.

©Catherine Duverger
« Il est question, écrit Hugo Kostrzewa, d’une pollution quotidienne aux sources multiples, mais qui ne fait pas de vagues, finissant par s’inscrire dans l’ordinaire. Fertilisants et pesticides provenant des champs environnants, métaux lourds, hydrocarbures… Il y a un peu chacun d’entre nous dans la rivière. Dans certains prélèvements, on trouve par exemple des virus d’origine humaine, des antibiotiques ou encore des nanoparticules de dioxyde de titane, un additif blanchissant présent notamment dans la pâte à dentifrice. »
Il y a des organismes étranges, une sorte de conscience monstrueuse extériorisée, comme un atome d’apoferritine grandi des millions de fois envahissant le paysage.
Comme Lenz, les poissons ont la tête à l’envers, mais pour de bon et à jamais.
Ma fille, reprendras-tu un bon verre de lait ?
Et toi, mon garçon, es-tu bien certain de ne pas manquer de laitage ?
Au cœur de l’ouvrage prenant la forme d’un carnet de naturaliste à la Stevenson, il y a un cahier de plus petit format comprenant des portraits cyanotypés d’habitants, techniciens et scientifiques de Chartres de Bretagne.

©Catherine Duverger
Eux aussi sont devenus matière de mémoire, troublantes apparitions, comme si le cours d’eau lui-même en son amniotique méphitique les créait.
La laitière de Vermeer est toujours aussi jolie, mais bientôt quelque cancer d’un type étrange la défigurera.
Tout se brouille, les polypes prolifèrent, le mal est une splendeur fantasmatique.
Hantises peut se regarder comme une séquence onirique, ou/et comme un hommage à une entité liquide violentée dont la beauté sublime est terriblement ambiguë.
Oui, il faut donner aux cours d’eau, rivières, torrents et fleuves une personnalité juridique.

©Catherine Duverger
Etre la rivière, écrit Sacha Bourgeois-Gironde (PUF, 2020) dans sa défense du fleuve Whanganui, situé en Nouvelle-Zélande.
Il est possible que les fleuves aient leur parlement secret, et qu’ils nous désignent comme des créatures surnuméraires.

Catherine Duverger, Hantises, texte Hugo Kostrzewa, Sur La Crête éditions, 2022 – 200 exemplaires
https://catherine-duverger.format.com/
