Une famille, dans la cendre du temps, par Ulrich Lebeuf, photographe

©Ulrich Lebeuf

Lorsque l’on vient de Naples, c’est-à-dire d’un volcan, c’est-à-dire de l’effroi, c’est-à-dire de la survie à travers les siècles, qui est-on ?

Revenant sur ses origines parhénopéennes, le photographe Ulrich Lebeuf a imaginé Spettri di Famiglia comme une traversée du royaume des ombres, de l’absence, du silence.

Il ne m’appartient pas de déterminer ce qui a causé intimement la production des images de ce livre – dans son beau texte, Jean-Paul Dubois est cependant explicite -, mais d’abord de les regarder pour ce qu’elles sont : des fragments de nuit, des tentatives d’aller au cœur des ténèbres pour en percevoir les ultimes points de lumière.

Graphiquement superbe, Spettri di Famiglia découvre des visages dans une pluie de suie.

©Ulrich Lebeuf

Les images sont charbonneuses, vagues de rêves noirs, ailes de vautours jetant leur ombre gigantesque sur la terre, et la mer, et les peaux rescapées.

Aller à Naples, en revenir, y repartir, comme une interminable catabase.

On dirait le Sud, mais l’on dirait surtout le Mal, et l’interminable Agonie.

Nos familles sont hantées, nos corps portent des mémoires blessées, nous devons trouver des chemins de désenvoûtement.

L’art peut être un processus de libération, s’il ne cille pas devant l’impossible.

Naples est-elle un amer ou une épine, une douleur ou un interminable espoir ?

Pour la quitter, il faut la pénétrer, à fond.

Pour la retrouver, il faut l’arracher de soi, à fond.

©Ulrich Lebeuf

Une femme a perdu son visage. Elle est belle, sera mère, roche, roc, pleurs.

Le temps piétine les cartes d’identité, il ne restera plus de nos aînés que quelques objets, quelques paroles, quelques traits sur notre visage, puis rien, fors l’amour peut-être, et les traumatismes.

La gisante de marbre de la Capella Sansevero a les tétons qui pointent.

Nous nous heurtons aux rêches parois de l’existence, et la mort nous avale en jouissant.

Nous présentons notre tête-ciboire à notre Dieu de miséricorde, nous nous agenouillons, mais notre sang ne nous appartient pas.

Spettri di Famiglia est un livre de photographie métaphysique, un creusement de l’être, bandeau jeté au pied de la Camarde au moment de l’exécution.

Nous sommes au cœur de la forêt obscure, un fils tient la main de sa mère et lui dit : « Contemple, maman, ta naissance. Maintenant, tu n’as plus rien à faire là. »

©Ulrich Lebeuf

Il paraît que l’entrée des Enfers se trouve non loin du Pausilippe, Pluton est un rire de jeune fille poussée dans la banlieue des rêves avortés.

Le photographe ramasse dans la poussière de la première capitale de l’Italie un morceau de lave, une carte postale ancienne, un album de famille.  

Dans la cendre du temps, il y le visage des siens.

Ulrich Lebeuf, Spettri di Famiglia, texte Jean-Paul Dubois, conception éditoriale et graphisme Ulrich Lebeuf, Yves Bigot et Richard Volante, photogravure Pascal Jollivet, Les Editions de Juillet, 2022, 128 pages

https://www.editionsdejuillet.com/products/spettri-di-famiglia

Ulrich Lebeuf est membre de l’agence MYOP

http://www.myop.fr/photographer/ulrich-lebeuf

Ulrich Lebeuf est représenté par la galerie Sit Down (Paris)

https://sitdown.fr/artistes-2/ulrich-lebeuf

https://www.leslibraires.fr/livre/21554286-spettri-di-famiglia-ulrich-lebeuf-les-editions-de-juillet?affiliate=intervalle

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