Claude Monet et Edouard Manet, par Stéphane Lambert et Gérard Titus-Carmel, écrivains

Les Nymphéas, Claude Monet

Après la collection Studiolo consacrée aux monographies, écrits et essais d’artiste, les éditions L’Atelier contemporain lancent une nouvelle collection de poche, Phalènes, mettant en regard une œuvre picturale et un écrivain/artiste.

Les trois premiers titres sont confiés à Stéphane Lambert (sur Les Nymphéas de Claude Monet) et Gérard Titus-Carmel (sur La Pie du même Claude Monet, et La Prune, d’Edouard Manet).

Stéphane Lambert pointe avec beaucoup de justesse l’invention et déploiement des Nymphéas au moment où la première guerre industrielle déchire les corps, comme si le paradis de la peinture offrait une possibilité de rédemption alors que le mal triomphe.

« Car telle était la véritable version de la dernière grande tentation du peintre, absoudre le monde dans une parcelle d’eau, dans une éclaboussure de bleus et de verts. »

Au soir de son existence, le peintre de Giverny – Monet y vécut quarante-trois ans, faisant construire un pont enjambant son étang pour se rapprocher de l’eau – imagine un océan de fleurs, comme une offrande à la vie au moment d’un dernier embarquement.

On sait bien entendu que ce trésor pour l’humanité repose dans un temple situé en plein Paris, L’Orangerie.  

Dans un texte usant avec bonheur de la parataxe et des phrases nominales – à la façon du Lenz de Büchner traduit par Jean-Pierre Lefèvre -, Stéphane Lambert célèbre avec Monet le siècle nouveau, une ère de renaissance par le végétal et les couleurs en gloire, « ce combat insensé contre des plantes et la lumière. »

Clémenceau le comprit, qui offrit au mage souffrant de cécité le soutien de l’Etat – lire leur correspondance passionnante. 

Aller vers la paix avant de mourir, au moment où tout menace de s’effacer, telle est l’ambition du peintre.

Les nymphéas de Monet ne sont pas des fleurs observables dans quelque jardin absolu, mais une flottaison intérieure de déités bénéfiques.

Le silence grandit en ce Titan, ne donnant l’impression de quitter les lieux que pour mieux en révéler le mystère de gloire.

La Pie, 1868, huile sur toiule, 89 x 130 cm, Claude Monet

Une pie se tait, contemplant la neige, et, pour une fois très calme, c’est un tableau de 1868 – refusée au Salon de 1869, la toile est maintenant admirée au musée d’Orsay.

Le monde est, selon la belle analyse du peintre et écrivain Gérard Titus-Carmel, d’autant plus présent qu’il se dérobe à la vue, s’estompe, s’éloigne.

La pie nous enseigne, c’est un maître zen dans un dojo blanc.

« Postée en sentinelle sur le plus haut barreau de son échelle, elle surveille la campagne engoncée dans son silence, toisant l’horizon qui annonce les embâcles, les barrières de glaçons et les épaves charriées par le redoux à venir, quand la trêve prendra fin. Elle devient signe et oracle, il n’y a qu’elle pour alerter le monde qui se terre et se tient coi dans l’attente. Et pour Monet, il s’agit de peindre cette attente dans la crainte que l’intrus ne s’envole, et de saisir le miracle de ce laps de temps où tout semble s’ajointer dans la même urgence. Car le monde est éphémère, pense le peintre, je n’ai que le temps d’en saisir la lumière ; il est avant tout espace, semble rétorquer l’oiseau, avant de s’échapper hors du tableau. »

La Prune, 1877, huile sur toile, 73,6 x 50,2 cm, Claude Monet

Dans un deuxième texte, Edouard Manet, Le regard perdu, prenant appui d’abord sur le tableau La Prune (1877), l’auteur de Chemins ouvrant (avec Yves Bonnefoy) se souvient de Georges Bataille – mais Piero della Francesca ?

On meurt dans les tableaux de Manet, ou l’on est dans cette zone troublante entre le sommeil et la réalité.

Manet peint le coup de fusil comme on avale cul sec une poire, ou comme on jette en pâture aux bourgeois scandalisés le corps de la belle Olympia au bijou rose et noir.

La solitude de la serveuse dans le Bar aux Folies-Bergères est ontologique, qui est à la fois celle d’un modèle peint en 1881, et celle de l’artiste tentant de réduire par l’effort de peinture son éloignement d’avec le monde.  

Stéphane Lambert, Claude Monet, L’adieu au paysage, collection Phalènes, L’Atelier contemporain Editions, 2023, 48 pages

Gérard Titus-Carmel, Peindre l’hiver, Notes sur le Pie de Claude Monet, collection Phalènes, L’Atelier contemporain Editions, 2023, 32 pages

Gérard Titus-Carmel, Edouard Manet, Le regard perdu, collection Phalènes, L’Atelier contemporain Editions, 2023, 64 pages

https://www.editionslateliercontemporain.net/

Exposition Degas, Manet, au Musée d’Orsay (Paris), du 28 mars au 23 juillet 2023

https://www.musee-orsay.fr/fr/agenda/expositions/manet-degas

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