Des élans lyriques de l’âme, par Bernard Descamps, photographe

le

©Bernard Descamps 

« Je réalise des images qui ne racontent rien, mais voudraient seulement dévoiler de minuscules fragments du temps. Je cherche à dialoguer avec ce qui me dépasse, ce qui me surprend, ce qui est source de rêve et de désir. » (Bernard Descamps)

Pour découvrir l’ampleur et la cohérence formelle de l’œuvre de Bernard Descamps, le volume Essentiel, conçu par son galeriste Didier Brousse (Galerie Camera Obscura), après celui consacré aux photographies de Yamamoto Masao, s’avère précieux.

Il s’agit d’un parcours en trente images dans l’immense corpus d’un artiste né en 1947 dont la plupart des livres ont été publiés par Filigranes Editions.

©Bernard Descamps 

Mais que voit-on ?

Des paysages d’une grande sensualité qui sont avant tout des voyages intérieurs.

Le mystère des apparences et des formes, dans une appréhension très fine de la géométrisation des rapports : en effet, chez Bernard Descamps, tout est pythagoricien, c’est-à-dire lien avec l’invisible et la métamorphose des êtres comme des objets.

L’envol d’une colonie de sternes est bien plus qu’un acte déterminé par quelque poussée instinctuelle, c’est une élévation de l’âme, comme ces tissus soulevés par le vent que portent les bergers Peuls au Mali alors que s’annonce une tempête de sable.

©Bernard Descamps 

La beauté que saisit au noir et blanc le photographe n’est pas un ornement superfétatoire, elle est l’essence même de la vérité.

Il y a des méduses tournoyant en Chine dans un aquarium, sœurs de captivité des poissons du Muséum d’Histoire naturelle de Lyon, que contemple un enfant essayant de comprendre la logique muette de leur déplacement.  

L’éthique de Bernard Descamps est celle du passant : marcher sereinement dans la finitude, tout en cherchant à saisir des points d’atemporalité, ou à accueillir des signes de présence supérieure.

Par ses nombreux voyages circumterrestres, le cofondateur des Rencontres photographiques de Bamako en 1994 ne tente surtout pas d’épuiser son désir des lieux, mais d’entrer en résonnance avec ce qui les fonde intimement, poétiquement, énigmatiquement.

©Bernard Descamps 

« Découvrir la beauté du monde, s’extasier devant la richesse des cultures, découvrir l’autre, étaient les ambitions idéales des premiers photographes voyageurs. Pour ma part, je ne voyage que pour me rencontrer, pour trouver mes images, celles qui sont en moi et que j’essaye inlassablement de faire apparaître. »

Nos corps se placent dans le vaste mandala du vivant, dont la structure relève des archétypes nous agissant.

Y a-t-il chez Descamps de l’instant décisif ? Peut-être, si l’on comprend par ce terme repris par Henri Cartier-Bresson au cardinal de Retz l’idée que nous nous trouvons à chaque instant de notre vie à un carrefour existentiel majeur.

Chez lui, le destin n’est pas tragique, mais plutôt de l’ordre de l’éternel retour du même.

©Bernard Descamps 

Chacune des ses photographies est un royaume calme propice à la méditation.

Les humains jouent ou vaquent à leurs occupations ordinaires, comme si leurs gestes ne leur appartenaient pas vraiment.

L’espace est calligraphié, par des barques, par des mains, par des ombres, sans que l’on sache vraiment qui tient le calame.

Tout ici relève de la noblesse, qui n’est pas celle des parvenus, mais ceux des advenus de toujours, à Djenné au Mali comme à Rameswara en Inde.

Des oiseaux posés au Japon sur des fils électriques indiquent une autre direction interprétative, qui est celle de la musique des sphères, de ce son primordial diffracté en multiplicité d’êtres sur la planète, qu’ils soient arbres ou volcans, et dont la quête spirituelle du petit d’homme est celle de les rassembler en un seul et immense regard de compassion.  

On trouvera confirmation de ces lignes d’herméneutique photographique dans le volume Au-delà des apparences, publié en 2022, accompagné par un très beau texte d’Héloïse Conésa, écrivant dans son fragment introductif : « Sous la neige blanche, étale, le souffle chaud du noir Etna… Si l’évidence de la beauté du monde s’affiche dans les photographies épurées de Bernard Descamps, on perçoit également chez lui la volonté d’en donner à voir la complexité et les ambivalences par l’usage d’une forme photographique qui fait la part belle au fragment, puise dans la philosophie orientale de la non-dualité la force d’un regard libre sur le monde et élabore une musique visuelle à même de s’adapter aux élans lyriques de l’âme. »

©Bernard Descamps 

Mais Au-delà des apparences révèle une dimension de l’existence moins perceptible peut-être dans le livre Essentiel, celle de la malice et du rire du vivant.

Il s’agit d’une sorte de fantaisie spontanée telle qu’on la trouve quelquefois chez des maîtres zen capables d’éclater de rire en prononçant un bon mot.

Nombre d’images témoignent d’une sorte d’ironie drolatique, ou d’une tendresse amusée devant la façon dont s’organise la réalité.

Les grandes questions métaphysiques deviennent alors plus légères, comme si l’incommunicabilité ne menait in fine qu’à un ample sourire.

Tout va bien, semble nous dire le photographe, même lorsque tout va mal.

En ses trois-cents pages, Au-delà des apparences témoigne d’un regard toujours en alerte, offrant à l’humain une place raisonnable – souvent modeste – dans le grand concert de la vie, et dont les abstractions semblent les paysages mentaux de l’éternité.    

Bernard Descamps, Essentiel, mise en page Didier Brousse, coordination éditoriale Patrick Le Bescont, Filigranes Editions / Galerie Camera Obscura, 2023, 66 pages

https://www.galeriecameraobscura.fr/artistes/descamps/artist_main_index.html

https://www.filigranes.com/artiste/descamps-bernard/

Bernard Descamps, Au-delà des apparences, texte de Héloïse Conésa, mise en page Bernard Descamps, conception graphique Patrick Le Bescont, Filigranes Editions, 2022, 306 pages

https://www.bernarddescamps.fr/

Didier Brousse est représenté par la Galerie Camera Obscura (Paris) et la Box galerie (Bruxelles)

https://www.leslibraires.fr/livre/21427770-au-dela-des-apparences-bernard-descamps-filigranes?affiliate=intervalle

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Je viens de parcourir son site et je suis ébloui. Comme une force conquérante qui n’aurait d’armes que la douceur.
    Merci pour cette découverte.

    J’aime

Laisser un commentaire