Plumes d’anges, par Julien Magre, photographe

C’est un livre de grâce, d’émerveillement face à la matière, d’énergétique de la couleur.

Composé de tirages de plumes réalisés à l’agrandisseur par Fred Jourda, Plumes est un objet éditorial singulier, de grand format comme un volume de l’Encyclopédie de Diderot, mais en bien plus léger, ou l’un de ces livres de naturaliste ramenés d’Egypte par les savants ayant participé à la campagne militaro-scientifique de Napoléon.

Mais ici pas de leçon érudite, ni d’édification, plutôt une poétique du regard faisant songer aux splendeurs visibles dans un cabinet d’art graphique.

©Julien Magre

Plumes est une œuvre de dimension spirituelle, une sorte de conservatoire enchanté témoignant, bien au-delà des désastres du temps, de la fabuleuse présence des anges.

L’esprit informe la matière, rien n’est neutre et tout se disperse, la géométrisation des rapports est de nature pythagoricienne, c’est-à-dire de mystère et d’unité traversant la mort.

« Julien Magre, écrit son galeriste lyonnais Jacques Damez, évoquant par ailleurs avec beaucoup de pertinence la fonction chamanique des dreamcatchers amérindiens, photographie en état de sommeil paradoxal, c’est son capteur de rêves, il se tient au centre de ses perceptions pour les saisir dans la fulgurance de leur apparition. C’est son moyen de donner corps à l’insaisissable, de fixer et de mémoriser l’infigurable. »

©Julien Magre

La lumière traverse les plumes, les détails les plus infimes sont perceptibles, l’héraldique de la nature est somptueuse.

Palpite en ces structures parfaites un souffle de création génial, une sorte d’incommensurable.

La vision de précision effectuée en laboratoire mène à la voyance, à la perception d’une vie suprême, échappant à toutes les tentatives d’arraisonnement.

©Julien Magre

Ces plumes blasonnées sont les portes sacrées d’un univers mythique, intense, résurrectionnel.

Tout est sauvé puisque de tels joyaux existent encore, tout a un sens au-delà du sens, dans la conscience des mondes supérieurs inventant des légèretés polychromes.

La beauté a une fonction, les éthologues nous l’apprennent, mais, plus profondément encore, la beauté existe peut-être pour rien, pour elle-même, pour les larmes de joie, pour le ravissement de l’âme.   

©Julien Magre

Il faut pour créer de la folie, qui n’est sûrement pas le contraire de la raison, mais un mode d’accès à un autre régime de vérité.

Il faut l’inspiration, la remémoration, la possession peut-être, ces catégories platoniciennes.

Il y a un ordre, une cosmologie, une évidence d’organisation, que les plumes observées minutieusement par Julien Magre nous rappellent.

La photographie est à la fois entreprise de deuil et tentative de réparation, comme une façon de nous arrimer à ce qui a été tout en éprouvant de nouveau la perte.

Des plumes tombent ou on les arrache, comme des images faisant rempart à notre effondrement symbolique, ou l’accentuant.

©Julien Magre

Il y a recherche d’un arrêt valant totalité dans le flux de ce que nous regardons.

Le plein est vide, le vide est plein, la plume photographiée est le signe de ce qui est, superbement, et de ce qui nous manque ou nous manquera toujours.

Une gratuité, une innocence, une enfance.

Une seule plume nous manque et tout est dépeuplé ? Oui, peut-être, sûrement.

©Julien Magre

Dans la musique des formes et des duvets, des variations formelles et des structures symétriques, il y a une sorte de danse indienne, première, un champ magnétique où crépite le feu de la création.

Une enfant lève une plume sur son front, c’est une offrande, ou un ennoblissement sauvage.

Julien Magre opère la rencontre d’une main juvénile, d’une cage en lévitation et d’une plume rouge, non pas sur la table de dissection que pourrait être son livre, mais sur l’espace d’une toile psychique aussi grande qu’un ciel, ainsi calligraphiée par le geste d’écriture photographique, et l’inouï de ce qui apparaît.

Julien Magre, Plumes, texte Jacques Damez, tirages par Fred Jourda, coordination éditoriale Patrick Le Bescont, conception graphique Geoffrey Saint-Martin, Filigranes Editions, 2023, 72 pages

http://www.julienmagre.fr/

https://www.filigranes.com/livre/plumes/

©Julien Magre

Exposition au musée des Arts précieux Paul-Dupuy, sur le site de l’ancien musée de l’Affiche de Toulouse (MATOU), du 24 mai au 12 novembre 2023 – commissariat Francis Saint-Genez

https://museepauldupuy.toulouse.fr/agenda/exposition/visite-commentee-julien-magre-plumes-et-rip-hopkins-plumassiers/

A voir également dans les mêmes lieux Plumassiers, de Rip Hopkins (livre éponyme chez Filigranes Editions), les deux expositions ayant été pensées comme une conversation artistique

https://www.filigranes.com/livre/plumassiers/

Julien Magre est représenté par la galerie Le Réverbère (Lyon)

https://www.galerielereverbere.com/julien-magre

En vie, exposition Julien Magre, au Jeu de Paume – Tours, du 23 juin au 29 octobre 2023

https://jeudepaume.org/evenement/julien-magre-tours/

https://www.leslibraires.fr/livre/22303341-plumes-julien-magre-filigranes?affiliate=intervalle

https://www.leslibraires.fr/livre/22303654-plumassiers-rip-hopkins-filigranes?affiliate=intervalle

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