
©Franco Fontana
« Je ne sais comment te parler de cette facette de Paris. Car, en plus d’être parfois le monstre que je t’ai décrit, c’est aussi un bal perpétuel et élégant, un enchantement soudain et vif qui te renverse complètement. L’onde de la Seine se répand dans tous les quartiers de la ville, comme si Vénus elle-même soufflait dans tous les recoins et nous apportait un air doux et vivifiant quoiqu’un peu mélancolique par moments, mais chargé d’une grâce infinie. » (Jean-Baptiste Gauvin, en amitié avec Jack Kerouac et Neal Cassady)

©Franco Fontana
S’il considère, après une fréquentation de près de cinquante ans (années 1970-2022), que le gris et le blanc sont les couleurs de Paris, Franco Fontana, maître de photographie né à Modène en 1933, montre essentiellement la capitale française, dans l’ouvrage que publient – après America (2020) – les éditions Contrejour, dans ses aplats colorés.
Publié sous une très belle couverture bleue, Paris expose les visions géométriques d’un artiste héritier en Europe des apports de Barnett Newman et Ed Reinhardt.
Fontana ne recherche pas le pittoresque, mais son regard est celui d’un passionné de peinture.

©Franco Fontana
A partir d’une sensation de vide – prenons par exemple la toile de nudité grise d’un photographe nommé Atget -, l’artiste italien observe la façon dont les structures, les objets et les êtres se placent dans l’espace, une devanture de magasin rouge, une deux chevaux rose dans une rue en pente de Montmartre, des enseignes, une foule.
Attentif aux inscriptions s’effaçant comme autant de marques d’une réalité passant dans l’univers des songes, Franco Fontana regarde les écritures comme des tentatives de graver notre présence dans la matière mouvante de la vie.
Les murs qu’il contemple sont lépreux, parsemés de pans colorés rescapés d’un désastre.
Cette dimension de memento mori imprègne Paris, qui est bien davantage l’aventure d’une métamorphose qu’un précis de géographie contemporaine.
La ville qu’il regarde est d’abord le reflet d’un vaste paysage intérieur dont l’architecture est formée de taches de couleur.

©Franco Fontana
Il y a ainsi une énergétique dans ce qui peut apparaître comme une déréliction, voire un léger humour dans le motif récurrent des trompe-l’œil relevés par le marcheur à l’objectif.
Est-ce une scène de crime ? un plan de Jacques Tati ? une fantaisie new-yorkaise ? Non, c’est le Paris de Fontana où l’absurde conduit à la drôlerie, et les signes observés dans leurs associations involontaires induisent une sensation presque bouffonne.
Ne vous inquiétez pas, nous dit en substance le photographe, tout disparaît, et tout est sauvé en même temps, je suis un messager psychopompe, reposez-vous sur dans mes photographies.

Franco Fontana, Paris, texte Jean-Baptiste Gauvin, éditions Contrejour, 2023, 72 pages

©Franco Fontana
Mais Fontana, c’est aussi Skyline, ouvrage majeur paru une première fois en 1978, republié aujourd’hui par son ami Claude Nori reprenant à l’identique l’édition et la couverture souple de la première édition italienne (mise en page de Paola et Luigi Ghirri, excusez du peu).
Une photographie par page, un format chaque fois similaire par diptyques, un ruban coloré faisant penser au rouleau de l’auteur de On the road, mais en plus radical encore.
Comme une épure de la vitesse.
Comme des tableaux de Gilles Aillaud sans animaux.

©Franco Fontana
Comme un paysage de limbes.
En 1978, l’historien de l’art Helmut Gernsheim écrivait : « En photographie, Franco Fontana est, avec Victor Gianella, l’expressionniste abstrait le plus original de ces dix dernières années. Contrairement à une grande partie de la photographie contemporaine qui est artificielle, ils sont des explorateurs aigus d’une nouvelle esthétique photographique. (…) Leur esprit analytique saisit l’essence de la nature et des choses et façonne de nouvelles images qui obscurcissent le monde visible. »
Ou qui désobscurcissent nos canaux perceptifs.
Il faut (re)découvrir Skyline dans toute sa volupté, sa sensualité incroyable, son paradis.
L’abstraction est chez Fontana une incarnation.

Franco Fontana, Skyline, introduction de Helmut Gernsheim, éditions Contrejour, 2023, 80 pages
https://www.editions-contrejour.com/project_category/franco-fontana/

©Franco Fontana
L’exposition Franco Fontana se tiendra à la galerie Polka (Paris) du 8 septembre au 28 octobre 2023
https://www.polkagalerie.com/fr/franco-fontana-biographie.htm