L’insurrection des silences, par Mathilde Girard, écrivaine

La Maladie du sens, 2023 – série en cours – ©Anne-Lise Broyer

« Tu attendais la venue d’un ami. A la place sont venues des phrases. »

Mathilde Girard écrit comme on écoute, et cherche à entendre des voix dans les voix, des silences dans les silences, des cris de déchirement dans la politesse des jours et le langage de la communauté.

Les faits, les images, les mots, tout nous besogne, tout nous percute.

Qu’est-ce qu’un corps ? qu’est-ce qu’une voix ? s’interroge-t-elle avec Antonin Artaud, Samuel Beckett et son expérience des souffles.

Formé de quatorze chapitres composés le plus souvent de courtes propositions numérotées, sans ponctuation finale, les indications pour le corps fixe des esquifs à la dérive.

Ce sont, dans des régimes textuels variés, des réflexions, définitives, elliptiques, sibyllines, ouvertes, sur le vivant, le sexe, des expériences d’anthropisation et de désanthropisation – nos multiappartenances, comme nos identités trouées. 

On pense au régime poiëtique des associations libres, de la libération des flux psychiques, de l’attention flottante.

Un texte vivant, on ne peut pas le circonscrire. Parce qu’il est vivant justement.

Nous sommes perdus, rien ne tient, fors le rassemblement des heures dans la préparation de l’amour (du roman/du grand récit, interrompu, à venir).

La Maladie du sens, 2023 – série en cours – ©Anne-Lise Broyer

On attend l’autre, Godot, qui nous donnera la jouissance. Ce peut être un objet, une main extérieure, ou même la nôtre, une peau douce et dure.

Ils ne veulent pas le savoir, mais la nuit sexuelle insiste, aussi, qu’ils le veuillent ou non, la littérature.

On pourrait y basculer et ne plus revenir de cet océanique.

Regardez dehors, précise Mathilde Girard, qui est aussi psychanalyste et cinéaste, il y a des émeutes, des électrons jaunes, des corps organisés en blocage. 

On marche dans la forêt, il y a des traces de sang, Georges Bataille s’est peut-être blessé, qui nous précède en bien des sentes.

Il y a un oiseau pendu par une patte, ce pourrait être également un début de roman de Witold Gombrowicz.

Dans les bosquets, une photographe pleure « des larmes de foutre, ou de lait. »

Nous accomplissons des actes, pour ne pas en commettre d’autres.

Je lis Mathilde Girard, je ne l’analyse pas, j’essaie de rencontrer ses phrases.

Dans L’Ethique, Spinoza appelle conatus cet effort pour persévérer dans son être.

Quel est le conatus du singulier ouvrage publié par Isabelle Sauvage dans un très petit village des Monts d’Arrée, dans le Finistère, les indications pour le corps ?

Il faudrait, dit-elle avec Marguerite Duras, reconnaître la destruction « comme une activité politique ».

Aussi l’autodestruction.

Propositions 30 et 31, chapitre 4 : « Les existences précaires ont opposé la destruction à la réforme / Dans la jungle de Calais, des migrants ont détruit eux-mêmes leurs cabanes pour ne pas laisser la police le faire »

Il faut avancer vers la révolution, ou rien, « qu’on en finisse avec l’hypocrisie politique ».

La rue, parlée, parcourue à pied, est l’espace même de la politique, mais aussi le lit des amants, qui se cherchent, se mordent, se bisexualisent, parcourent toute l’histoire des sociétés avant de découvrir la beauté nue du plaisir en une clairière où leurs corps sont devenus des flammes.

Dans la déliaison, réapprendre les liens, puis se nouer autrement encore, plus fort, dans l’inconnu.

Les instances narratives ne sont pas toujours les mêmes de chant à chant à chapitres, il y a des dialogues, des aphorismes, des récits, des visions, des saynètes.

Bientôt, la guerre d’Algérie, ses bandeaux et ses couteaux, s’invite dans les rêves, parce que la guerre est un état permanent, qui tombe sur nous comme les pierres projetées par la roche contre lequel se bat Sisyphe.

Dans une salle de classe, « un enfant casse une craie en regardant un adulte dans les yeux ».

Mathilde Girard, les indications pour le corps, éditions Isabelle Sauvage, 2023, 76 pages

https://editionsisabellesauvage.fr/catalogue/les-indications-pour-le-corps/

La Maladie du sens, 2023 – série en cours – ©Anne-Lise Broyer

Merci à Anne-Lise Broyer : https://www.annelisebroyer.com/

https://www.leslibraires.fr/livre/23133018-les-indications-pour-le-corps-mathilde-girard-isabelle-sauvage?affiliate=intervalle

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