Poésie en marche, par Sandrine Cnudde, écrivaine, photographe

©Sandrine Cnudde

« Saluons-nous, po-émons-nous ! »

La constellation de la sandale pourrait être un titre de bande dessinée, ou d’un de ces poèmes d’imaginaire chamanique dont le regretté Kenneth White avait le secret.

Cet ouvrage de l’écrivaine et marcheuse Sandrine Cnudde, par ailleurs conceptrice de la revue moléculaire de photo/poésie Vinaigrette (lire mon article du 17 octobre 2021), est le récit allègre et profond d’une nomade proche des « peuples racines » (voir ses livres publiés chez Tarabuste, LansKine, Po&psy, Light Motiv) ayant entrepris de traverser seule la région Occitanie à pied en 2020, du 5 septembre au 2 octobre, tout en s’arrêtant régulièrement chez des paysans pour lire des poèmes, notamment ceux de Tomas Tranströmer, ainsi que ceux tirés du corpus amérindien contemporain.

Partir, se désenclaver, fuir les confinements, et les miasmes de toutes sortes.

©Sandrine Cnudde

Reprendre vie au contact de l’espace, des rencontres, programmées ou de hasard, de la nature souveraine.

Retrouver son corps, se blesser, se réparer, avancer.

L’objectif est le chemin, le pas est initiatique.

Publié dans le bien-nommée « collection des livres à cinq pattes » des éditions LansKine, La constellation de la sandale relate des expériences, des routes et déroutes, des élans.

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Dans son adresse au lecteur, placée à la fin de son périple, Sandrine Cnudde écrit : « Avez-vous déjà observé une prairie à la jumelle ? Imaginez l’inimaginable. C’est ce que j’ai tenté de faire avec cette traversée, réglant la focale de mon attention sur les petites choses, celles qui occupent le bas-côté de nos vies lancées à toute berzingue. Dans un rallentendo puissant propre aux marcheurs, j’ai voulu croiser les chemins de la poésie et du monde paysan, bousculer les habitudes d’univers apparemment sans rapport. »

La poésie doit être faite par tous, elle n’est pas langage savant, mais réceptacle des émotions les plus intenses ou fines vécues par chaque être.

Parsemé de poésies et de photographies personnelles, La constellation de la sandale invite au départ, à reprendre vie au contact du plus simple comme du plus majestueux.

©Sandrine Cnudde

Nous sommes endormis, fatigués, l’enjeu est le réveil, de la barque corporelle, des sens, de l’esprit.

Les notations sont souvent très concrètes (le poids du sac, les itinéraires, les repas, les états psychiques), mais passionnantes parce que partageables et sources de réflexion pour tous.

Les vals, les collines et les bois défilent, les villages si discrets (Blauzac, Dions, Clairan, Claret, Brissac…), le trajet étant quelquefois accompli en autostop – pas de fanatisme pédestre.

Gard, Hérault, Tarn, Ariège.

Amie littéraire de Joseph Delteil, Sandrine Cnudde recherche le chant du monde dans une époque faisant taire toute source de poésie.

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Voici l’alcoolique et dépravé Bukowski en maître zen : « Jusqu’au bout chevaucher la vie jusqu’au rire parfait. »

La pérégrine arrive à Saint-Jean-de-Buèges (bonjour au graveur et peintre Roland Sénéca qui vécut en ces contrées radicales lors de sa prime jeunesse artistique) : « Vallée magnifique, à l’écart des vacarmes, un bas-côté réconfortant. En forêt sur une courbe de niveau régulière, je la contemple. Je contemple tout court. Je bâtis mon temple à la beauté, aux souvenirs, à l’enfance. J’avance. »

La politique, c’est la vie à pied, prendre le temps de regarder et comprendre l’autre, s’interroger sur la façon dont le paysage est façonné, entre entreprises qui périclitent (les papeteries historiques), zones commerciales nouvelles et déserts.

« Du haut des mots-monts, sur l’horizon analogue et enforesté, dans l’épaisseur de ma relation au vivant, peut se projeter un nouvel état d’écriture, j’habite et je quitte simultanément un pays neuf et pourri qui n’existe pas. Chacun de mes livres en est la carte. »

Partir pour se retrouver, pour se métamorphoser, pour se quitter.