
©Sébastien Berlendis
« Les larges baies baignent la chambre de lumière, éclairent Annabella endormie, sa chemise aux fleurs mauves, aux motifs japonais ; le miroir, qui couvre la surface entière du mur face au lit, agrandit l’espace. Ses lèvres gercées par les plongeons et les bains de mer quotidiens, ses fesses plus blanches que son corps blanc, fesses offertes, par un mouvement inconscient, à mes mains. Puis Annabella s’étire longue longue, la nuit lentement sort d’elle, les draps sentent l’iode et l’algue, je me penche par-dessus le balcon, dans l’air, poudroiement de poussières de sable, en contrebas, sur le lungomare, l’alignement des hortensias mouillés de rosée saline. »
Quel plaisir de voyager, l’été, sur la côte ligure, avec Sébastien Berlendis et ses personnages.
Prendre une voiture, descendre dans de bons hôtels (style Liberty), accompagné par une enchanteresse kabyle à la peau blanche, parler italien.
Nager au-delà des bouées blanches, se coucher tard, faire de la nuit une complice.
Vêtements légers, torses nus, seins nus sous le tee-shirt.

©Sébastien Berlendis
Lungomare – troisième volume chez Actes Sud après Des saisons adolescentes (2020) et Seize lacs et une seule mer (2021), que je me promets de lire bientôt – se déguste comme un excellent cocktail, dans un bonheur prolongé que guette cependant la taquine mélancolie.
Le temps n’existe plus, l’écrivain-photographe arrivant à construire sans précipitation une sorte de stase cinétique.
Le souffle se fait serein, on ne lit pas trop vite car le livre est bref, il ne faudrait pas arriver déjà au moment de se quitter.
Septième fragment d’une œuvre pensée dans la continuité de ses échos, depuis Une dernière fois la nuit (Stock, 2013), Lungomare fait le double portrait d’une femme aimée, Annabella, et des parents de l’écrivain, à partir d’un lot de photographies retrouvées, prises lors de vacances sur la côte varoise.

©Sébastien Berlendis
« Lorsque Annabella marche parmi les monticules de sable blanc, petite robe rose, pieds nus, lumière blanche aussi, elle me rappelle l’héroïne d’un film américain, le titre nous échappe, traînant sa peine sur les terres d’une Pennsylvanie oubliée. »
Tout est très sensuel dans ce livre : parfums, baisers, couleurs, bruits de la mer, goût du campari de la fin d’après-midi – « seuls les Français boivent du campari après vingt-deux heures. »
On longe la côte dans l’odeur des citronniers, tout va bien.
On pense à Paul Morand, à Frédéric Berthet, à Mathieu Terence, à l’art du flirt – photographique – de Claude Nori et de sa passion pour la Dolce vita, mais c’est encore autre chose, une autre musique, un autre espace.
Ecrire comme on se promène, vers 17h, entre les corps élégants et bronzés.
Art italien de la passeggiata, qui est aussi celui de la lecture.
La beauté est éphémère, un livre en gardera les traces, comme un secret pour les générations futures.
Le narrateur est un observateur, il voit comme un cinéaste : découpage, plan, synopsis, traits scénaristiques, lumières.
Chansons.

©Sébastien Berlendis
Pas de drame dans Lungomare, à peine une histoire, mais des états d’être relevant du divin otium.
Voyage de Genova la superba à Portovenere, en s’attardant à Roccabianca.
Cafés anciens, trofie au pesto, gelati.
Criques, plongeons, maillots ôtés.
Qui vit cela ? Le narrateur ? Les parents de l’écrivain ? Leurs doubles dans les paperolles d’écumes méditerranéennes ?
L’adolescence est une façon de se mouvoir, de se désirer, de s’aimer.
Tiens, voici Byron, seigneur d’absolu.
Annabella murmure à son amant : « L’inédit est à venir. » Puis, on dirait du Yannick Haenel : « Il faut déposer en nous des réserves de clarté. »
L’homme au Rolleiflex écrit : « La salive des langues épaissie par la poussière des routes. »
La littérature est merveilleuse, enfin la vie.
L’été porte une robe légère, on le veut.

Sébastien Berlendis, Lungomare, collection « un endroit où aller », Actes Sud, 2024, 80 pages
https://www.actes-sud.fr/contributeurs/sebastien-berlendis
