
Hoz, canana y mazorca, 1927, Collection et archives de la Fundación Televisa, Mexico
« Tina Modotti, ma sœur, tu ne dors pas, non. » (Pablo Neruda)
Tina sur l’azotea (1924) est l’un des plus beaux nus de l’histoire de la photographie.
Regardée par Edward Weston, la jeune modèle née en 1896 à Udine en Italie, photographe débutante arrivée à Mexico sur la recommandation de son mari, le peintre anticonformiste Roubaix de l’Abrie Richey, dit Robo, est aussi l’amante du photographe américain qui en a fait son assistante, son élève et son interprète.
Weston a dix ans de plus qu’elle, il est également marié, a quatre enfants, adore la tauromachie et les agaves.
Tous deux sont volages – mais Tina ne cessera pas de célébrer et aimer Robo -, l’amour est éclatant, Tina est une révolutionnaire en esprit et en corps.

Tank No. 1, 1927, Avec l’aimable autorisation de la galerie Throckmorton Fine Art, New York
Elle rencontre D.H. Lawrence, lit beaucoup (Oscar Wilde, Poe, Freud, Nietzsche), prend son envol, s’impliquant notamment politiquement aux côtés des militants du parti communiste.
L’art moderne mexicain et la culture précolombienne l’intéressant particulièrement, ainsi que la vie des femmes du peuple, elle développe à la fois une œuvre personnelle et un travail de photoreportage.
Elle vit désormais avec Julio Antonio Mella, révolutionnaire cubain en exil qui sera abattu dans la rue sous ses yeux, alors qu’ils revenaient du cinéma.

Manos sosteniendo una pala / Manos de trabajador, vers 1926-1927 ,Collection et archives de la Fundación Televisa, Mexico
On la questionne, on la harcèle, on révèle à tous son immoralité pour les nus faits avec Weston.
Alors que sa reconnaissance internationale est certaine, elle est arrêtée puis expulsée du Mexique.
Sa vie d’engagement contre le fascisme ne s’arrête pas là, puisqu’il y aura aussi les années berlinoises, puis la participation à la guerre d’Espagne avec le Secours rouge international et le retour en Amérique où elle mourra d’une crise cardiaque (d’un empoisonnement ?) en 1942 à l’âge de 45 ans.
Tina publie des photographies dans des revues stridentistes, mais qu’est exactement ce mouvement ?
Le manifeste des stidentistes dit ceci, magnifiquement : « Nous sommes Stridentistes, et nous lançons des pierres dans les maisons remplies de meubles vieillis par le silence, où la poussière dévore les pas de la lumière. Les mouches ne déposeront pas leur orthographe sur nos écrits, parce que, après avoir été lus, ils ne serviront qu’à emballer le sucre. Et nous, hérissés de rayons microscopiques, nous irons infligeant des décharges à ceux qui sont atteints d’indolence. »

La beauté de Tina fait chavirer les hommes. Dans son Journal mexicain (publié au Seuil en 1995), Weston, jaloux, écrit : « La prochaine fois, je ferai mieux de me trouver une femme laide comme le diable. »
Elle est belle comme le feu, libre, émancipée, indomptable.
Elle s’investit dans l’aide aux réfugiés politiques italiens fuyant le régime de Mussolini, elle rencontre Maïakovski, pose pour le peintre muraliste Diego Rivera, se sent solidaire des Indiens vivant dans le dénuement.
Le compagnon de Frida Kahlo dira d’elle : « Tina Modotti puise sa sève dans les racines de son tempérament italien. Toutefois c’est au Mexique que son œuvre artistique s’est épanouie et qu’elle a atteint une rare symbiose avec nos passions. »

Hombres leyendo « El Machete », vers 1927, Collection et archives de la Fundación Telvisiva, Mexico
Sa rencontre avec le passionné Julio Antonio Mella, proche des idées de Trotski, est un coup de foudre.
A sa mort violente, la police l’accusera d’avoir assassiné son amant. Tina !
Elle se radicalise, adopte la ligne dure du parti communiste.
En 1929, elle défend ainsi sa pratique photographique : « Parce qu’elle ne peut être produite que dans le présent et qu’elle rend compte de ce qui existe devant l’appareil, la photographie s’affirme comme le moyen le plus incisif pour enregistrer la vie réelle sous tous ses aspects, d’où sa valeur documentaire. Si l’on ajoute à cela la sensibilité et l’acceptation du sujet que l’on aborde, compte tenu de sa place dans l’évolution historique, je crois qu’elle mérite de jouer un rôle dans la révolution sociale. »
Une exposition, au Jeu de Paume (Paris), et une belle monographie, publiée conjointement avec Flammarion et la Fundacion MAPFRE, permettra de mieux apprécier encore cette artiste militante pour qui le peuple et la défense de ses valeurs comptaient avant tout.

Monographie Tina Modotti, avant-propos de Quentin Bajac, textes Isabel Tejeda Martin, Magaly Alcantara Franco et David Caliz Manjarrez, Eva M. Vives Jiménez, Claudio Natoli, Laura Branciforte, conversation entre Rosa Casanova et Jorge Ribalta, Jeu de Paume / Flammarion / MAPFR, 2024, 340 pages
Catalogue officiel d’exposition au Jeu de Paume, du 13 février au 26 mai 2024
https://jeudepaume.org/evenement/exposition-tina-modotti/

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