Bretagne, ondes concentriques, par Benjamin Deroche, photographe, et Philippe Le Guillou, écrivain

©Benjamin Deroche

« Dès que j’avais vu la lande qui se déployait entre Saint-Rivoal et Brasparts, dès que j’avais deviné la présence de la vieille ossature de l’Armorique qui affleurait ici et là, entre les bruyères et les ajoncs, une sorte d’inquiétude m’avait saisi, une forme d’angoisse, sourde et insistante, si proche de celle qui me gagnait, et que je tentais de juguler, en écoutant les récits fantastiques et cruels de mon grand-père paternel. C’était un sentiment irrépressible, un vertige, la peur subite et irrationnelle d’être abandonné là, échoué loin de tout repère, de tout signe de civilisation. » (Philippe Le Guillou)

Qu’il photographie Saint-Pierre-et-Miquelon, l’Inde, le Bordelais, Ouessant ou la Baie de Douarnenez, Benjamin Deroche cherche constamment les zones de lumière et d’énergie, à la manière d’un sourcier.

©Benjamin Deroche

Il abord les territoires dans leurs champs magnétiques, l’appareil photographique étant utilisé comme une chambre de révélation.

En composant La Mémoire des lieux, Benjamin Deroche rend à la fois hommage à son ami l’écrivain Philippe Le Guillou en son antre de travail et de méditation finistérien, et à la terre de Bretagne en son ordre sacré.

Nous sommes à la fois, dans son ermitage du Faou, chez l’auteur de L’Orée des flots. Rêverie tristanienne (Artus, 1997), et dans quelques-uns des endroits les plus intimes et symboliques de cette pointe de l’Occident extrême : forêt du Cranou, île d’Arun, Rumengol, île de Térénez, Landévennec, Sainte-Anne-la-Palud, Menez Hom, Tréflévénez, Brasparts, Plomodiern.

©Benjamin Deroche

« Mon univers, confie l’écrivain ne cessant d’explorer son enfance et la construction de sa sensibilité en son espace de naissance, s’est construit autour du foyer du Faou en un jeu d’ondes concentriques. Il est, dès l’origine, de mots et de songes, de légendes et d’image mais il n’est pas abstrait, désincarné, sans enracinement et sans ancrage. Il naît de la terre et des vagues, des taillis et des bois, des rafales et des lames qui engloutirent la ville d’Ys. C’est un authentique monde d’images, un fragment de ce grand domaine que constitue l’imaginaire celtique et où je me retrouve comme chez moi. »

Il y a du médiéval chez cet orant debout qu’est Benjamin Deroche, des visions d’enluminure, une conscience du glas et de l’énigme d’être au monde.

Des vitraux, des blés et du bleu, un enclos paroissial et des ombres souveraines.

©Benjamin Deroche

Quelque chose – une présence supérieure, de la transcendance – touche indéniablement, nous rappelle l’artiste, ces confins sévères du monde breton, flammes de Pentecôte, noblesse arthurienne, joie baroque.

Benjamin Deroche photographie comme on accomplit, mais sans ostentation, dans le mouvement d’un souffle long, un acte de dévotion.

Pas d’insistance dans la bondieuserie, surtout pas, mais une Pietà terrible tachetée de lichens, des dalles de schiste, et des pierres d’église solides bâties au bord des flots.

Si la Bretagne est liée étymologiquement au noir, à la noirceur, aux ténèbres, l’imaginaire du photographe marcheur est essentiellement bleu, l’horizon, comme souvent chez lui, ne séparant pas le ciel de la terre ou des eaux – davantage ligne d’union que de stricte distinction -, voire les renversant ou les basculant, déroutant la géographie.  

Attentif aux détails comme à l’héraldique du vivant – ses photographies de végétaux -, Benjamin Deroche cherche des passages, les signes de la foi ou d’une piété populaire n’acceptant pas la stricte frontière éloignant à tout jamais les vivants des morts.

©Benjamin Deroche

Statuettes de saints locaux, ouvrages de la nrf reliés, piles de livres, globes terrestres, brochure rappelant son amitié avec Julien Gracq, buste miniature de Chateaubriand, volumes concernant la Bretagne, portraits du général de Gaulle, édition de Xavier Grall : nul doute, nous sommes chez Philippe Le Guillou.

Pourquoi écrit-on ? Pourquoi photographie-t-on ? Pourquoi tant d’efforts ?

Peut-être pour rassembler en une nef robuste permettant la traversée de l’existence des fragments de mélancolie ayant valeur d’universel, et pour explorer l’énigme de notre constitution intime.

©Benjamin Deroche

« Vivre ici, avoue Philippe Le Guillou, entre l’église de mon baptême et le cimetière où reposent les miens, entre les lointains de Rosnoën et les terres de Rozoëc qui éveillent tant de beaux souvenirs ruraux et champêtres, est un profond bonheur. Oui, vivre en de tels lieux, alors que tant de nos contemporains ne connaissent que la laideur et le bruit, relève de la grâce. Je la ressens à chacun de mes séjours plus vivement encore, dans la ferveur et la gratitude, avec parfois une pointe de tristesse, lorsque l’on se retourne pour considérer tout ce qui encombre le chenal du temps et appartient désormais à l’autre monde, sur l’autre rive… »

Benjamin Deroche & Philippe Le Guillou, La Mémoire des lieux, Le photographe et l’écrivain, conception éditoriale et graphique Nathalie Bihan, Editions du Parapluie jaune, 2024, 94 pages

©Benjamin Deroche

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