L’amour, dés jetés, par Dominique Janvier, écrivain


La clairière, Souvenir de Ville d’Avray de Jean-Baptiste Camille Corot

« Un jour, au Jardin des plantes près des grandes serres, alors qu’ils marchaient dans les allées étroites du jardin alpin tout proche – une enclave qui pour eux jouait comme un secret – elle s’était arrêtée presque soucieuse, un instant tracassée, pour lui dire qu’elle venait d’apercevoir, marchant dans l’une des allées en bordure des grilles, un ami de ses parents. Elle ne l’avait pas revu depuis leur mort, bien avant même. Lui-même, elle en était sûre, était décédé depuis des années. »

Ce qui fait le prix du récit court de Dominique Janvier, Un grand bruit de mer, est aussi ce qui lui confère un caractère désuet pour une époque avilie : la pudeur des sentiments habitant ses personnages, la beauté d’une langue se déployant dans le cours d’un fleuve où naviguent également Jean-Jacques Rousseau, Alain-Fournier et Eric Rohmer – on peut trouver d’autres triades -, les ellipses, le bonheur tourmenté, la mélancolie, la force de solitude. 

La vie est faite de morceaux qui ne se joignent pas, ou alors très bien, qui ne doivent se séparer que dans la plus grande douleur, par décision de drame.

Alcis aime Ceylia, qui, il le sait, a basculé : les ponts sont rompus, l’amour est là, il n’y aura pas de retour en arrière.

La circularité du texte de Dominique Janvier – incipit et fin se répondent, s’ajustent – désigne la roue du karma que la puissance des liens intimes et spirituels entre deux êtres n’aura pourtant pas permis de briser.

Où faut-il se réfugier quand le chagrin est si intense que nous nous noyons en nous-même ? Peut-être dans une maison aux parois de verre située au cœur d’une forêt de Mayenne, caché de tous, et transparent.

C’est une vigie entourée de pins.

On se rencontre à Paris, on y marche beaucoup, les pas perdus n’en sont jamais.

Ceylia perçoit la présence de fantômes, ne s’en étonne guère, semble comprendre les mystères.

Avec elle, tout est lent et tout va vite.

Elle peut disparaître, mais elle est là.

Appartement, hôtel, maison bretonne, les lieux comptent ici beaucoup, ce sont des âmes fixées.

Très attentif à la façon dont la langue sonne et peut soudain entrer dans le domaine de l’étrangeté lumineuse, Un grand bruit de mer multiplie les expressions heureuses : « elle semblait un qui-vive empressé », « Dès qu’ils marchaient, il prenait son bras. Une boucle. Un lasso. », « Il fit glisser sa robe qui forma en tombant, froissée, étale à ses pieds sur le parquet, une flaque. »

Et ceci, que j’aime beaucoup : « Elle releva ses bras nus, se retourna pour encore l’embrasser. Lui ôta ses vêtements qu’elle jeta peu importe. »   

Un grand bruit de mer déchire le cœur, on y aime, beaucoup, on y tremble, de tout son être.

Il faudrait rejoindre une maison de verre pour attendre une infante défunte.

On ne la trouvera bien sûr qu’à l’intérieur de soi.

Dominique Janvier, Un grand bruit de mer, Editions La Pionnière, 2024, 48 pages

https://www.lapionniere.com/livres/un-grand-bruit-de-mer-de-dominique-janvier

Laisser un commentaire