Trouver la nécriture, par Hélène Cixous, écrivain

Le Colosse, après 1808, Francisco de Goya

« Où est-il, ces jours-ci, l’être, ou elle, qui donne souffles et cris aux massacrés ? / Je suis à la porte. Je ne sais de quel côté » (Hélène Cixous)

Il faut une folie d’écriture, sinon quoi ?

Des hantises, un savoir du non-écrire, une connaissance des gouffres, sinon quoi ?

Il est difficile de penser Hélène Cixous toute seule.

Comme le désir selon Deleuze, Hélène Cixous l’individuée est un agencement : une mère omniprésente, un père médecin parti trop tôt, l’Algérie, Oran, les exils, la diaspora, la solitude, une famille juive persécutée, la présence post mortem de l’ami auguste Jacques Derrida, les cours dispensés à Vincennes, les séminaires .

Le compagnonnage avec la dramaturge Ariane Mnouchkine, le génocide du peuple khmer, les histoires qu’on essaie de raconter se fracassant contre le mur de l’impossible.

Dernier-né de l’auteure de Osnabrück (1999), Et la mère pond un dernier œuf est un recueil de textes publiés çà et là, il y a longtemps ou non, inédits ou non, oubliés, repris, îles dérivantes formant archipel nouveau.

Ce sont, comme l’ensemble des proses d’Hélène Cixous, des hyperrêves d’hyperréalité.

Des phrases se terminant régulièrement sans point, comme un fil continu, comme le flux de la mémoire, comme l’unique écrivain aveugle depuis, disons, Homère.

Pas de point quelquefois, mais du rythme, de la vitesse, de la parataxe, courir pour échapper à la meute.

Ecrire épuisé souffle coupé.

« Chez Even ma mère passée de l’autre côté, je trouve un petit carnet d’adresses en cuir rose, allégorie de toutes les vies, musée des époques, pierre de Rosette, un condensé des aventures mondiales d’Eve née Klein en 1910 descendante Jonas, traces de son pas pressé sur tous les continents, pendant cent ans elle utilise tous les transports de l’avion au chameau ça vaut bien les pérégrinations de Dante à cheval sur Rossinante, jusqu’à l’île de Pâques. »

Toujours garder près de soi une couverture, la chasse à l’homme-femme est permanente, il faut pouvoir s’enfuir.

On écrit avec des ombres, les récits entendus-lus durant l’enfance, et la lettre vivante.

« On ne meurt pas d’horreur. Tous ces suppliciés qui survivent à l’invisible, qui ne vivent pas, qui invivent, qui portent dans leur propre corps le Serpent Oubli, qui les dévore de l’intérieur. Comment ne pas effacer ? Comment ne pas garder ? / On ne meurt pas d’horreur. C’est là un chagrin indicible. Il faut le dire »

Même la catastrophe se meurt, mais il y a les témoins, comme le cambodgien Vann Nath à Tuol Sleng, ou « le saint » Pierre Cayrac.

« Pour chaque catastrophe, il faut une langue, il faut un poète qui s’en aille « dans le velours noir du vide mondial » comme le dit Mandelstam dans la langue du malheur russe, prononcer le mot béni, insensé, le mot de se retrouver, là où nous avons enterré le soleil. »

Un malheur chasse-t-il l’autre ? Parfois oui, mais parfois aussi ils se complètent, s’enrichissent, s’épousent, s’approfondissent.

Hélène Cixous écrit des archives d’épouvante.

Mystère du mal à travers les siècles. Les Titans sont nos pulsions, analyse Freud.

« Comme le mal change de masque, on ne le voit jamais venir. Tout d’un coup il abat son fléau sur un peuple. »

Il faut écrire en faisant silence.

« Quant à moi, la vérité c’est que je veux pousser l’écrit jusqu’au crime contre la société, la tradition, je veux pousser jusqu’à l’écrime. »

On ne guérit jamais vraiment du manque d’affection maternelle, ou de maternage (Rousseau and co).

On hérite du manque.

Fille du vent Littérature, Hélène Cixous écrit-rit malgré tout en Babelgérie.

« Je ne finis pas de venir d’Algérie. / L’étrangèreté me mène / Je viens de partir / Je viens de ce partir d’Algérie qui m’accompagne comme mon ombre courant tantôt devant moi tantôt derrière moi »

On court souvent depuis l’enfance, et ses frayeurs.

« Si ma mère l’avait lu François le Champi, aurais-je écrit mes livres ? »

Hélène Cixous, Et la mère pond vite un dernier œuf, Gallimard, 2024, 142 pages

https://www.gallimard.fr/auteurs/helene-cixous

https://www.leslibraires.fr/livre/23680958-et-la-mere-pond-vite-un-dernier-oeuf-helene-cixous-gallimard

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