Vie ardente de l’étrangère, par Alda Merini, poétesse

le

« La maladie mentale est l’âme de la parole. » (Alda Merini)

On ne connaît pas, ou vraiment très peu, en France, la poétesse milanaise Alda Merini (1931-2009), considérée pourtant dans son pays comme une auteure majeure.

Souffrant de maladie mentale, elle fut régulièrement internée, aimant beaucoup – notamment son dernier grand amour Michele Pierri – , écrivant beaucoup, s’exposant beaucoup, explorant son âme et sa vérité sans relâche.

Morte dans l’indigence, Alda Merini fut fréquemment soutenue financièrement par ses lecteurs et amis écrivains, conscients de sa misère, et de son immense talent.

Constitué après sa mort, le recueil composite Confusion des étoiles, publié chez Seghers – soixante-dix poèmes issus de la correspondance avec le critique littéraire Oreste Macri, précédés de quatre auto-interviewes originales, mais aussi des proses et des lettres en fin de volume -, nous permet de découvrir une poétesse croyant au suprême au pouvoir de révélation des mots, et ne manquant pas d’humour.

« Il faut s’approcher des sacrements / avec la mine triste et confuse / et ne pas damner les gens, / aller à la rencontre du poisson rouge, / de la verticalité du Christ / et des urnes paisibles de la trinité. / Il faut s’immerger dans le mystère / sans jamais tourner la tête / comme tu le fais, distraitement, / toi qui, pendant la communion, / attrapes une mouche dans le nez. »

Les personnages qu’elle décrit sont souvent des frères et sœurs d’asile, des pauvres, des relégués, des clochards.

Portrait de Norma V. : « Toi qui es pute et qui te proclames dame, / qui vends tes entrailles pour quelques billets sales / mais qui as un renard autour du cou et chantes mille fontaines / toi qui dis que tu connais Rome et Saint-Pierre et le Vatican, / toi, la vieille, tu reluques tous les jeunes de notre quartier, / tu es la Norma bien connue de tous les bordels / tu restes là, les jambes tremblantes face à mille éternuements / dévorant l’angoisse et la tuberculose, / femme qui n’a ni sentiments ni prières / mais seulement des sombres abîmes, / femme qui n’a jamais parlé qu’avec les décombres des murs. »

La langue peut être crue, Alda Merini ne cache rien, sa vie est ardente, son oeil acéré.   

« moi épouse de plusieurs maris, / moi / qui me drogue la nuit / pour ne pas sentir la chair. »

L’écrivaine se considérait, précise dans une préface superbe Gabriel Dufay – par ailleurs traducteur de cet opus avec Alessandra Domenici -, comme une étrangère, maintenant par sa poésie un lieu indemne dans la vilenie du monde.

« Je fus Alda Merini mais je ne sais que vous dire / sinon que trois éléments jouèrent / dans ma parole comme dans l’univers : / l’air, le feu et la terre. […] »

Angoisse et joie, musicalité, sensualité, poétique de la subversion à la façon d’Annie Le Brun.

Gabriel Dufay s’enflamme, c’est un chorus de Coltrane : « Avec Alda Merini, « née avec le printemps », on a trouvé le chaînon manquant entre Simone Weil, Antonin Artaud et Brigitte Fontaine. La philosophe mystique de La Pesanteur et la Grâce, le poète forcené de Pour en finir avec le jugement de Dieu et la chanteuse druidesse excentrique de Folie furieuse. Alda Merini est une poétesse qui ne pense jamais comme tout le monde, elle ne dit ni n’écrit jamais rien de convenu ; elle ne craint pas de plonger dans les ténèbres pour nous rapporter de singulières révélations. » 

Etre poète, porter sa croix.

Ne pas mâcher ses mots, proférer.

A Emily Dickinson : « Tes larges jupes noires, / le culte voilé de tes coiffures informes, / indices d’une vanité châtiée / hors de toute mesure, le temple / que chaque jour tu terrassais / d’un pied lourd et agacé / face à ceux qui t’ont surpassée, / tout ça ne fait pas de toi une grande poétesse / mais une canaille orgueilleuse aux jeux faciles / et au cœur avaricieux. »  

A Michele, qui était médecin : « Combien de gens ont mis leur nez, Michele / dans nos entrejambes, / dans les entrejambes de nos rêves, / combien de gens malheureux et rustres, / combien de chameaux sourds : / pourquoi as-tu permis cet adultère absurde, / amour amour amour, / pourquoi cette impudeur féroce ? / Combien ont bu au cercle / magique de notre amour. »

A compléter avec ce poème intitulé Le cocu : « Tu dis que tu es cocu et tu l’es, / parce que mes sentiments s’envolent / comme un ballon rouge. / Mon corps, tu l’as abandonné sur le rivage / qui était plein de garçons dociles / et ainsi as-tu senti leur puanteur féroce / au lieu des essences agréables. / Maintenant tu dis que je t’ai trompé, / maintenant que je ne vis que de l’âme. »

Consciente de la puissance féminine, Alda Merini n’aurait pas été woke : « Amour qui a porté sur mon destin / cet air vigoureux et puissant qui est le tien, / a soudain bouleversé ce chemin qui est le mien, / il a fait de moi ton esclave sereine, / quand t’apporter ce que tu commandes / transforme une femme en reine, / l’amour qui m’a pris m’emmène / là où ton ciel rapidement le demande. »

L’amour est sacrifice, pure donation, grâce.

Lire ceci, avant d’aller embrasser nos aimé.e.s : « Ouvre-toi à l’amour et montre-moi ton sexe / où fleurit le sens de la pudeur, / je suis Sappho l’infinie / qui veut se noyer dans ta pâle semence : / à moi les murmures des pierres lointaines / à moi le galop de tes chevaux ! / Orphée, toi qui ruisselles de fleurs, / regarde et souffre de ses secrètes hanches / et Vénus qui se presse / sur le piédestal des jeunes souvenirs ; / le chant mythique devient musique / dans tes yeux. »

Lettre à Pierri : « Figure-toi, Pierri, qu’un après-midi je t’ai aimé, et peut-être parce que mon sexe-raison était fatigué de vivre, étouffé dans la misère de la solitude, je me suis mise à penser à toi comme à mon amant et j’ai atteint les sommets de la félicité. Je crois Pierri que l’amour est une part si importante de nos vies qu’il est en fin de compte l’épine dorsale de l’âme, que sans amour nous ne pouvons et ne voulons pas vivre. » 

Oui.

Alda Merini, Confusion des étoiles, traduit de l’italien – édition bilingue – par Alessandra Domenici et Gabriel Dufay, préface de Gabriel Dufay, Editions Seghers, 2025, 240 pages

https://www.lisez.com/editeurs/seghers

https://www.lisez.com/livres/confusion-des-etoiles/9782232148118

Un commentaire Ajoutez le vôtre

Répondre à Geneviève Catta Annuler la réponse.