
Carte marine, île de Hoëdic
« La plupart de mes livres sont travaillé par les maladies du souvenir : la pièce manquante, la disparition, les histoires de revenants. Je suis souvent débordé par mon sujet, je sais à présent que c’est pour cela que j’écris, pour être dépassé par ce que j’entreprends. » (Jean-Paul Kauffmann)
A l’occasion de la parution aux éditions Equateurs de L’Accident, œuvre évoquant la mort le 2 janvier 1949 dans un accident d’avion de dix-huit footballeurs de son village natal de Corps-Nuds (même bourg d’Ille-et-Vilaine que celui de la romancière Paula Fourdeux) et la trame mystérieuse de la vie – de ce drame à la captivité de l’auteur, retenu comme otage trois ans à Beyrouth, emprisonnement lui ayant fait explorer mentalement son enfance -, j’ai souhaité lire les entretiens, qu’eut son auteur Jean-Paul Kaufmann, lors des Rencontres de Port-Cros en septembre 2023, avec Emmanuelle Pouquet et Ingrid Blanchard.
L’écrivain donne des éclairages précieux sur son lien, de nécessité absolue, avec la littérature, l’importance chez lui des odeurs, sa maison de retour à la vie, dans les Landes, après sa libération, sa passion du vin et des mots pour en désigner les saveurs, la profession de journaliste.
« Dans le métier de journaliste, on n’insiste pas assez sur l’importance du corps, les cinq sens doivent fonctionner à plein régime. Quand un journaliste débarque quelque part, il n’a au départ que ces outils. Le toucher, la manière dont on va serrer la main de la personne qu’on va interroger, l’odeur de sa maison, la voix, enfin tout cet environnement. »
Il y a chez lui un tropisme îlien, comme disent désormais les doctes, non seulement parce que la plupart de ses livres ont été achevés sur l’île de Hoëdic, mais parce que les lieux de retrait porteurs d’une forme de manque ou d’absence le refondent.
Kerguelen, archipel de la Désolation, fut une terre de fascination (lire ce premier livre qu’est L’Arche des Kerguelen, Flammarion, 1992), et en quelque sorte de résurrection ; la demeure hantée de Sainte-Hélène (La Chambre noire de Longwood, La Table Ronde, 1997), où mourut Napoléon – sorte d’anti-Corse infernale – lui fit ressentir fortement l’odeur de la captivité, le sens olfactif de l’empereur, comme celui, précise l’écrivain se considérant plutôt comme un artisan auteur, du commissaire Maigret, étant également très aiguisé.
Lors de sa détention, comme autrefois au pensionnat, la lecture le sauva du désespoir – le roman de la Bible, Tolstoï -, la littérature créant un lien privilégié entre les vivants et les morts, une vibration spéciale permettant de traverser le mur du temps.
« La littérature [lorsqu’on écrit], avance-t-il, n’a pas le pouvoir de consoler. C’est même le contraire. Pour moi, elle est faite pour perturber. La littérature n’est ni consolatrice, ni réparatrice, l’écriture thérapeutique, je n’y crois absolument pas. On en parlait avec Claire Paulhan l’autre jour. Dans L’Espèce humaine, Robert Antelme a témoigné de ce qu’il avait vécu. Il confiait que ce qu’il avait écrit ne lui avait fait aucun bien. Au contraire, ça avait mis du sel dans la plaie, ça l’avait même élargie. Mais la priorité pour lui était de témoigner, de nommer ce qui était arrivé. Des maisons, des paysages peuvent être consolateurs, mais ce n’est pas du tout le but de la littérature. Sa finalité n’est pas du tout le but de la littérature. Et vous voyez bien, d’ailleurs, quand on cite toujours ce mot de Marcel Proust, « la vraie vie, [la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue,] c’est la littérature. » La littérature vous met en porte-à-faux par rapport à la quotidienneté. Comme le dit Tharnopol, le héros de Philippe Roth : « La littérature m’a mis dans le pétrin. A elle de m’en sortir. » Le prosaïsme de l’existence vous met en profond décalage avec cette vie rêvée que dispense la littérature. »
En admirateur de Raymond Guérin, d’Alain Fournier, de Jacques Rivière, de Jean Paulhan, et de Jules Supervielle – écrivains de la NRF ayant pour bon nombre séjourné dans l’île -, Jean-Paul Kauffmann a trouvé en Port-Cros un lieu où déployer brillamment sa parole.

Jean-Paul Kauffmann, Entretiens avec Emmanuelle Pouquet et Ingrid Blanchard, « Rencontres de Port Cros », septembre 2023, Editions Claire Paulhan / AAPC, 2023, 50 pages – 400 exemplaires
https://www.clairepaulhan.com/

https://editionsdesequateurs.fr/auteur/Jean-Paul-Kauffmann/236054

