
William Turner
« Mon père était médecin des corps, je serai médecin des âmes. » (Marsile Ficin)
Considéré comme la réincarnation de Platon, Marsile Ficin (1433-1499) est l’un des esprits les plus brillants du Quattrocento.
Sa pensée ayant influencé la Renaissance italienne est d’une inépuisable ressource pour nos temps enténébrés, sa façon d’aborder l’imagination créatrice à la fois comme réceptacle de l’harmonie divine et comme puissance performative – des formes créant des actes – pouvant inspirer nombre d’artistes aujourd’hui, notamment les photographes.
Dans l’essai, composé en 1476, Quid sit lumen, le Toscan, fils du médecin de Cosme de Médicis, envisage la lumière comme pure manifestation de Dieu.
On trouve chez lui une compréhension absolue de la pensée hermétique, son œuvre témoignant de l’unité et de l’interdépendance de tous les savoirs (médecine, religion, astrologie, sciences diverses, philosophie).
Pour Ficin, la lumière est à la fois révélation et « émanation de l’Esprit dans le monde » (Bertrand Schefer).
Si l’expression n’était déjà prise, on pourrait évoquer à propos de son grand œuvre une théologie de la lumière.
Définissons par ces mots le terme d’aura, qu’il n’emploie cependant pas : « La lumière est émanation en quelque sorte spirituelle, soudaine et très étendue des corps dont elle n’altère pas la nature. »
Dieu est lumière, la lumière est Dieu, le sacré est perception de ce feu intérieur en chaque chose.
« Aussi la vérité est-elle une lumière intérieure et la lumière une vérité se déployant au-dehors. »
Il est possible par degrés, par progression et affinements successifs de l’Intellect, d’accéder à cette Splendeur de laquelle dépend l’ensemble de la création.
Par l’image du rire du ciel, l’initié Dante est rappelé : « Qu’est-ce que la lumière en Dieu ? L’immense exubérance de sa bonté et de sa vérité. Qu’est-elle dans les anges ? La certitude de l’intelligence émanant de Dieu et la joie débordante de sa volonté. Qu’est-elle dans les corps célestes ? L’abondance de la vie dans les anges, le déploiement de la puissance dans le ciel. Rire du ciel. Qu’est-elle dans le feu ? Une force vitale entée par les corps célestes, une propagation efficace. La grâce descendue du ciel dans ce qui est privé de sens. La joie de l’esprit et la force des sens dans ce qui est doué de sens. Enfin, l’effusion de l’intime fécondité en toutes choses, et partout, l’image de la bonté et de la vérité divines. »
Le lexique lui-même est enchanté : joie / perfection / clarté / abondance / fécondité / splendeur / grâce.
Les astres rient et chantent : c’est la musique des sphères, à laquelle l’humain lui-même peut participer s’il quitte son état de damnation.
« Que la lumière soit le rire du ciel émanant de la joie des esprits célestes, les hommes l’indiquent, eux qui se réjouissent constamment de l’esprit et rient avec leur visage, eux qui resplendissent assurément à l’intérieur et s’ouvrent par l’esprit, eux qui semblent resplendir aussi par leur visage et plus encore par leurs yeux qui sont essentiellement célestes, chaque œil accomplissant, sous l’influence du rire, un mouvement circulaire à la ressemblance du ciel. »
Il n’est au fond rien jusqu’au plaisir lui-même, amoureux, érotique, qui ne soit joie céleste.
« Les petites âmes, avance le Florentin, sont les étincelles de la lumière infuse en eux. »
Et Bertrand Schefer, romancier aux franges de l’indicible/invisible, d’écrire en postface, en se souvant du peintre Apelle : « L’image doit pouvoir se définir comme une section sensible du monde intelligible. Toute image, naturelle ou artificielle, est vivante dans la mesure où elle possède en elle cette force capable de rechercher « par un secret instinct » son origine et sa fin, « les intentions non sensibles des images sensibles ». Tout accès à la visibilité ou à l’intelligibilité, rendu possible par le vinculum de la lumière, est ordonné au mouvement général de l’univers. »

Marsile Ficin, Quid sit lumen, traduit du latin par Bertrand Schefer, qui signe aussi la préface et l’essai conclusif L’Art de la lumière, éditions Allia, 2025, 64 pages
https://www.editions-allia.com/fr/livre/32/quid-sit-lumen
