Transmettre l’Histoire au présent, par Guy Boley, écrivain

Descente de Croix, vers 1435, Rogier van der Weyden

« On ne sait pas grand-chose de la plupart de ces peintres dont la carrière débuta à l’agonie de la peinture gothique médiévale et ouvrit grand les portes à cet art révolutionnaire, tant dans la forme que dans le fond, qu’on nommera bientôt, des huiles plein les yeux et des couleurs plein l’âme : l’ars nova. » (Guy Boley)

Se trouve à Madrid, au musée du Prado, une huile sur bois extraordinaire de Rogier van der Weyden, Descente de croix, composée vers 1435.

Dans un texte précis, informé, partageur, ne faisant pas montre d’érudition sèche ou de pédantisme savant, La Danse des corps et des âmes, Guy Boley imagine quelle put être la vie de cet artiste flamand à la renommée mondiale issu d’une famille d’humbles artisans – son père était coutelier.

Pensant également la façon dont se répartissaient les tâches dans son atelier, entre apprentis, compagnons et élèves, l’auteur de Fils du feu (Grasset, 2016) décrit une ruche où chacun s’emploie à travailler pour la gloire de Dieu.  

Né à Tournai, dans ce qu’on nommait alors Les Grands Etats de Bourgogne, Rogier van der Weyden, appelé aussi Maître Rogier de la Pasture, fut l’élève de Robert Campin.

« On peint avec son âme, c’est-à-dire avec l’idée que l’on se fait de Dieu, de l’enfance, ou conjointement des deux. C’est ça que lui apprit, bien avant qu’il sache mélanger les couleurs, son bon Maître Robert Campin. (…) Si son âme n’est pas mélangée aux pigments, rien de ce qu’il peint ne sera jamais crédible. Rien de ce qu’il propose ne pourra subsister. »

On le voit marcher sur les rives de l’Escaut, s’enticher de peinture, connaître une ascension impressionnante – il est nommé en 1435 peintre officiel de la ville de Bruxelles, Portraitender.

On vient de lui commander une descente de croix, le panneau de chêne est face à lui, vierge pour l’instant, mais déjà empli de présences sacrées.

Corps gisant du Christ soutenu, corps chu de sa mère, son double – superbe parallélisme dans la position, pantelante, de l’Un et de l’autre -, corps affligé, corps pleurant, corps ployant.

Rogier van der Weden peint des humains à leur échelle, chaque être témoignagant d’un ordre transcendant.

Célébrant le mystère du verbe incarné, la peinture est aussi édification des foules, selon un code iconographique intangible : « une bougie allumée ou toute autre lumière, c’est le Christ qui guide ; une cerise, un fruit rouge, une fleur incarnate, c’est le sang du rachat ; un lys, une aiguière, une cuvette ou tout ce qui contient de l’eau est signe de pureté de Marie Mère de Dieu ; une bouteille ou une fiole traversée d’un rayon lumineux : la naissance miraculeuse de Jésus… »    

L’essor des techniques – nouveaux siccatifs, liants fabuleux – permettent la transparence, la diaphanéité, la vérité en somme.

C’est l’éloquence des larmes, des peaux, de la chorégraphie des corps dans l’espace.

Ecrit avec beaucoup de simplicité, d’humour et de sensibilité – à hauteur d’enfant au fond -, Des valises sous les yeux est un autre livre de Guy Boley paraissant simultanément chez L’Atelier contemporain.

On y retrouve son goût de la transmission, et son ambition d’écrire l’histoire au présent, racontant ici la réquisition de son grand-père, sellier et bourrelier vivant dans le nord de la France, pour le S.T.O, le Service du Travail Obligatoire, aïeul sommé d’exercer son métier dans un atelier à une trentaine de kilomètres de Berlin.

Il dut un jour, début 1944, récupérer le cuir sur une montagne de valises.

« Des bruits couraient sur les camps, les fumées noires des crématoires, mais comment croire à de pareilles sornettes, on était tout de même au XXe siècle, on avait la radio, les autos, les avions, on écoutait de la musique, on lisait des livres, la guerre mondiale précédente nous avait offert son content de cadavres, on ne nous fera pas croire que, sortant à peine des boucheries des tranchées de Verdun, on allait se mettre en plus, comme ça, à jeter des êtres humains dans des fours ! »

Le vrai, disait Boileau dont Guy Boley reprend la fameuse citation tirée de L’art poétique, peut quelquefois n’être pas vraisemblable.

C’est aussi pour cela qu’on écrit.  

Guy Boley, Rogier van der Weyden, La Danse des corps et des âmes, collection Phalènes, François-Marie Deyrolle éditeur, L’Atelier contemporain, 2025, 78 pages

https://editionslateliercontemporain.net/collections/phalenes/article/rogier-van-der-weyden-la-danse-des-corps-et-des-ames

Guy Boley, Des valises sous les yeux, en couverture dessin de Florent Wong, François-Marie Deyrolle éditeur, L’Atelier contemporain / Musée de la Résistance et de la Déportation –  citadelle de Besançon, 2025, 24 pages

https://editionslateliercontemporain.net/collections/litteratures/article/des-valises-sous-les-

Texte publié à l’occasion de l’exposition Valises ! Histoires d’un objet dans la guerre, organisée au Musée de la Résistance et de la Déportation (Besançon), du 27 mai au 31 décembre 2025

https://www.citadelle.com/a-voir-a-faire/musee-de-la-resistance-et-de-la-deportation/

https://www.leslibraires.fr/livre/24297788-rogier-van-der-weyden-la-danse-des-corps-et-des-ames-guy-boley-l-atelier-contemporain?=lintervalle

https://www.leslibraires.fr/livre/24733677-des-valises-sous-les-cieux-guy-boley-l-atelier-contemporain?=lintervalle

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  1. Avatar de Eve Zheim Eve Zheim dit :

    erreur de frappe adresse mail ! Désolée

    et je suis deja abonnée

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