
©Fondation Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos
« Le photographe ne fait que montrer les aiguilles de l’horloge, mais il choisit son instant. »
On connaît généralement assez bien les photographies du volume Images à la sauvette, publié pour la première fois en 1952, et sa couverture iconique reproduisant une composition en papiers découpés réalisée par Henri Matisse.
Des photographies prises par Cartier-Bresson à travers le monde (Europe, Chine, Etats-Unis…), principalement entre 1930 et 1950, célébrant la vie en son mouvement, un accord de formes et de lumières, un alignement général révélateur d’un instant décisif et du mystère d’une géométrisation des rapports transcendante.
On connaît bien moins le livre suivant, paru en 1955 chez Verve, Les Européens, avec une couverture confiée cette fois à Joan Miro, ouvrage que la Fondation Henri Cartier-Bresson a eu l’excellente idée de republier de la manière la plus fidèle qui soit – certes dans un format plus compact que l’édition originale.

©Fondation Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos
Il s’agit d’un ensemble de cent quatorze photographies prises entre 1950 et 1955 à travers une dizaine de pays européens (Irlande, Allemagne, Espagne, Angleterre, France, Italie…), pour des magazines comme Holiday, Life, Harper’s Bazaar, Point de vue ou Paris Match.
Des vers de Charles d’Orléans, poète de l’amour, de la mélancolie et du temps qui passe – l’art peut se situer à l’intersection de ces trois dimensions -, introduisent le propos liminaire de Cartier-Bresson, insistant sur la fraîcheur du regardeur traversant un pays qu’il ne connaît parfois pas très bien.
« Le décalage entre pays, écrit-il, se sent souvent d’une façon aiguë aux frontières, mais parfois on est chez le voisin depuis longtemps avant de s’en rendre compte. Je ne veux pas parler, bien sûr, du règne universel du complet-veston, ni de la standardisation mondiale des objets utiles, mais de l’homme avec ses joies, ses peines, ses luttes. »
Les images sont classées par pays, elles ne forment cependant pas un inventaire, mais un portrait vivant d’un continent en mutation.
Les marques de la Seconde Guerre mondiale sont encore là, et même celles des ruines de l’Antiquité (première image montrant la statuaire d’Eleusis dans la baie de Salamine) jouxtant la modernité fumante des cheminées d’usines, comme autant de volcans bâtis de mains d’hommes près à cracher leur lave destructrice.
Cartier-Bresson nous montre une Europe à la fois nouvelle et ancienne.
On y travaille comme autrefois, en labourant un champ à l’aide d’un cheval dans le Péloponnèse, on y lutte (meeting politique à Paris), on s’y aime, on y prie, on y flâne.
Comme souvent chez le maître français, la quotidienneté se mêle à la surréalité dans une forme de drôlerie ou de cocasserie involontaire.

©Fondation Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos
Deux femmes passent dans une rue d’Athènes, surmontées, au niveau d’un balcon, par deux caryatides comme s’il s’agissait de leur double mythologique idéalisé.
Beauté sèche de l’Espagne, présence des phalangistes, accord entre le visage d’un vieux berger et son environnement immédiat.
Personnages perdus dans leur environnement, vagabonds, séminaristes en promenade comme dans un film comique de Dino Risi.
On peut avoir la nostalgie de telles scènes, de ces processions, de ces tavernes traditionnelles.
Danse de la vie et de la mort.
Passage des humains dans les minutes d’un temps qui les dévore.
L’Allemagne se reconstruit. Puissance industrielle et recherche de travail.
On s’attarde dans une station thermale de Wiesbaden, on côtoie les édifices bombardés de Cologne.
Un mannequin de vitrine en robe de mariée a perdu la tête, on rit, on sourit, on s’inquiète, on fait la fête.
On est seul et l’on échange.
Angleterre, Autriche, Suisse, Irlande, URSS, Italie, France.
Vie des peuples, comédie humaine, transformations sociales.

©Fondation Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos
Antagonismes de classes sociales.
Foules, solidarités, esseulements.
Des chevaux, des bébés, des ouvriers et ouvrières.
On défile, on farniente, on bâtit le monde nouveau.
La permanence des formes dans les paysages ruraux touche, il y a même quelquefois une impression de pastorale ou de concorde gionesque – avant l’orage.
Henri Cartier-Bresson célèbre une Europe où l’on sait encore être ensemble, où les rapports n’ont pas encore été totalement médiatisés par la société de consommation.
Guitare, verre de vin, fournitures pour noces et banquets.
Lorsqu’il photographie la France, Jean Renoir n’est jamais loin.
Les Européens ? une partie de campagne à travers un continent semblant uni dans sa diversité, avant que tout ne bascule dans l’uniformisation des comportements et des lieux.
La géographie résiste encore, et l’obstination des peuples à durer un peu en leur être, ou leur idiosyncrasie.
« Même si Cartier-Bresson ne s’est jamais vraiment exprimé sur ce sujet, précise dans une postface éclairante Clément Chéroux, tout porte à croire qu’il était un européiste convaincu. Peu après avoir publié son livre, il photographie à plusieurs reprises Jean Monnet, l’un des grands artisans français de la construction européenne. »
Une Europe unie contre le retour des guerres.
Coeur à gauche.

Henri-Cartier Bresson, Les Européens, texte Clément Chéroux, suivi éditorial Aude Raimbault, chef de fabrication Jean-Marie Donat, numérisation La Chambre Noire, Fondation Henri Cartier-Bresson, 2025, 156 pages
https://www.henricartierbresson.org/publications/henri-cartier-bresson-europeens-nouvelle-edition/

mise à part le jeune ouvrier journalier pris en photo à la sauvette sous un pont par Cartier-Bresson, le reste, les humains écrit-on peut-on supputer qu’ils soient en mesure en capacité du vivre ensemble.
à ce que vous dites, patiemment, sincèrement.
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